Le gratuit, c’est fini

L’écrivain italien, Cesare Pavese disait : « Les choses gratuites sont celles qui coûtent le plus. Comment cela ? Elles coûtent l’effort de comprendre qu’elles sont gratuites. » Un adage qui ne tient plus aujourd’hui. Pourquoi ? Pour la simple raison que la gratuité –de l’objet, du service, du renseignement ou de n’importe quelle action – n’existe plus. Une dérive sociétale qui touche tout le monde. Le système capitaliste aidant, les écarts se creusent à la même vitesse que les jalousies et les craintes. Les riches ne regardent plus en bas tandis que les personnes moins aisées ne cessent de penser à un statut meilleur. Plus rien n’a plus d’intérêt actuellement que ce statut social. Mais ces derniers temps, la position dans la société ne se définit plus que par un seul et unique attribut : l’argent. La taille du compte en banques ou du moins, ce qu’on peut en montrer ostentatoirement. Un changement de mentalité – l’économie avant la culture, le savoir ou même l’éducation – qui doit forcément à la période. La crise encore et toujours. Ce mal universel qui touche tout et tout le monde a rendu les citoyens peureux. Et il y a de quoi. Les licenciements se multiplient, les stages se prolongent, les CDD ne se transforment plus en CDI, les boîtes d’interim débordent… La crise est générale et comme trop souvent, les premières victimes sont les moins solides financièrement. Du coup, on serre la ceinture, on fait attention. Mais au-delà de ce besoin de se rassurer, un autre raisonnement, plus implicite, est également né. La nécessité de gagner de l’argent coûte-que-coûte. Ne plus rien faire gratuitement donc. Le pouvoir n’en est d’ailleurs que le triste reflet. Clearstream ou une vaste affaire de comptes cachés concernant les personnes les plus puissantes du pays. Et on ne compte même plus les affaires d’enrichissement personnel en politique, à droite comme à gauche. La population a suivi. Ainsi, les « acteurs » – puisque c’est ainsi qu’ils se considèrent – de la télé réalité ont réclamé – et obtenu – un salaire pour leurs « performances » durant les émissions. A l’opposé, les associations ne trouvent plus de bénévoles.

Le plus fort des symboles étant évidemment l’école. Gratuite et obligatoire pour tous. Seulement depuis déjà plusieurs années, les établissements privés et très onéreux se multiplient et prennent de plus en plus le pas sur le public. Une autre façon de laisser les écarts se creuser. Une autre manière de montrer que le payant sera toujours mieux que le gratuit. Le gouvernement libéral a forcément poussé vers ce nouveau mode de pensée, cette vision du monde où l’hégémonie est exercée par l’économie et ou le don n’existe plus. L’Etat promeut la finance et le commerce, filières incontournables pour les étudiants rêvant de poursuivre leur idéal de fortune pécuniaire. Une vision chiffrée du monde et de sa population qui dérange. Le dernier exemple troublant de cette psychologie du billet reste la prime aux élèves ayant « décroché » du système scolaire. A la question, « comment motiver les jeunes pour l’école et donc à se former pour un métier ? » Le gouvernement n’a trouvé qu’un mot : l’argent. La carotte est en euros. Pas un mot sur les suppressions de postes, ni sur les réductions budgétaires. Pas un mot sur les classes surchargées non plus. Non pour parler à la jeunesse française, l’Etat a une pédagogie bien à lui : le cash. Une volonté de ne pas discuter, de ne pas écouter surtout, qui dérange. Surtout, les jeunes, en particulier ceux concernés par la mesure, ont besoin de soutien. S’ils ne vont plus en cours, c’est qu’ils n’y trouvent plus un intérêt suffisant. En ne cherchant pas à rendre l’école plus attractive mais juste lucrative, le gouvernement fait forcément fausse route. La seule motivation d’une personne ne peut être que l’argent. Sinon, la société entière risque de perdre ses valeurs de partage et de solidarité. L’école doit donc montrer l’exemple et former la jeunesse en ce sens.

Rappelons pour finir ces mots de Victor Hugo, prononcés lors d’un discours à l’Assemblée législative en 1850 : « Toute question a son idéal. Pour moi, l’idéal de cette question de l’enseignement, le voici : L’instruction gratuite et obligatoire. Obligatoire au premier degré seulement, gratuite à tous les degrés. »


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