Maquettiste de presse écrite : une valeur sûre en mutation

Métier de l’ombre d’une rédaction de presse écrite, le maquettiste n’en reste pas moins un élément très important d’un journal ou d’un magazine. C’est lui qui donne vie aux articles grâce à la police, la taille et la couleur des caractères, la répartition des textes, des images et des blancs… Avec l’arrivée de la mise en page sur logiciel et les maquettes pré formatées, ce métier est-il amené à disparaitre ? Enquête.

Remontons dans le temps. Jusqu’à la fin des années 1980, le métier de maquettiste était exclusivement manuel. Pour monter les pages on utilisait alors la photocomposition, la photogravure et le découpage-collage. Et la PAO est arrivée dans les rédactions. La PAO, la publication assistée par ordinateur ou la mise en page numérique grâce à des logiciels comme Quark XPress ou Adobe InDesign. Elle se démocratise en 1984 avec l’apparition des premiers Macintosh et peu à peu, toutes les rédactions franchissent le pas. « Il y avait vraiment de la création avant, mais aujourd’hui c’est beaucoup plus technique : on a des colonnes et des gabarits à respecter, il y a de moins en moins de place pour la créativité », analyse Philippe Ruffin, maquettiste pour le magazine Premiere. A l’inverse, des graphistes comme Nicolas de Palmaert pensent que la PAO s’est traduite par amélioration graphique qui permet d’être plus créatif.

L’informatique a entraîné de nombreux bouleversements pour les maquettistes, dont les plus anciens, trop habitués au manuel, ont eu du mal à s’adapter. Certains métiers ont disparu (flasheur, composeur), d’autres sont apparus (les métiers graphiques d’internet) et certains ont fusionné. Comme le secrétaire de rédaction, souvent amené à travailler la mise en page avec le maquettiste. Ainsi, Madeleine Fruteau de Laclos, aujourd’hui rédactrice graphique de l’hebdomadaire La Terre, est passée de SR à maquettiste. Elle souligne le fait que dans beaucoup de rédactions de quotidiens, les journalistes écrivent, mettent en page, s’occupent parfois même des titres, puis les SR peaufinent la mise en page. Mais il n’y a pas de maquettiste, comme au Parisien, au Figaro ou même à L’Humanité qui fonctionne avec des « cartons » (maquettes pré fabriquées). Finalement, Libération est l’un des derniers titres quotidiens nationaux à intégrer une équipe de maquettistes. « L’information quotidienne va trop vite, nous n’avons pas le temps de faire appel à un maquettiste », explique Frédéric Picard, rédacteur en chef technique du Figaro.

Dans les rédactions d’hebdomadaires ce n’est pas encore le cas puisqu’il y a plus de temps pour boucler le magazine. Les principaux titres (Le Nouvel Observateur, L’Express, Le Point) intègrent donc toujours des maquettistes, qui, s’ils doivent respecter la charte graphique propre à la rédaction, ont encore une liberté d’action et d’expression artistique. Mieux, ils sont devenus plus polyvalents grâce à la PAO : un seul maquettiste peut réaliser plusieurs missions qui étaient auparavant séparées.

Savoir s’adapter

Les maquettistes de la presse écrite (« print ») peuvent très bien se reconvertir dans les métiers graphiques des sites web en pleine expansion. A l’heure où les contenus textuels doivent aussi convenir au format web, le papier se fond progressivement dans le numérique. Les maquettes doivent alors s’adapter à la « culture zapping » apparue avec internet : on lit moins de quantité de texte en une seule fois, on privilégie le plus visible et le plus lisible… Une équation compliquée qui nécessite des graphistes compétents.

Le maquettiste n’est donc pas menacé d’extinction « car il faudra toujours des gens avec une vraie formation artistique pour la mise en page », assure Olivier Scob, maquettiste passé par de nombreux magazines. Même constat pour Serge Ricco, directeur artistique du Nouvel Obs : « certains pensent savoir faire une bonne mise en page, mais les bons maquettistes sont ceux qui ont un enseignement graphique et artistique. » C’est donc un métier de passion – et de talent ! -, où pour être bon il faut être curieux, toujours se remettre en question pour ne pas tomber dans la routine. « Il y a une facilité à s’endormir et à refaire tout le temps les mêmes choses », prévient Serge Ricco. « Pour que ce métier reste un plaisir, il faut qu’il ait tout le temps une recherche d’originalité », ajoute Madeleine Fruteau de Laclos.

L’originalité, ça passe par de nouvelles maquettes. Ainsi, Le Point a changé il y a deux ans, Le Parisien et France Soir l’année dernière, le JDD cette année et le Nouvel Obs’ la semaine prochaine. Nicolas de Palmaert prédit des changements de maquettes au moins tous les cinq ans dans le but de s’adapter aux nouvelles attentes des lecteurs. Et pour ça, les rédactions auront besoin de composeurs de maquettes.

Les objectifs de ces refontes de charte graphique sont de moderniser des modèles parfois anciens, d’apporter de l’élégance et un confort de lecture. (Re)donner de l’intérêt et de la vie au papier, tout simplement, et ce sont les maquettistes qui ont ce pouvoir. Mais Philippe Ruffin met en avant la plus grosse déception de sa profession: « on peut passer des heures à remodeler des éléments comme la taille des titres. Mais le pire, c’est que le lecteur ne s’en rend même pas compte ! »


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