Martine Pagès, entre céanothes et potentilles

Martine Pagès, auteure de Céanothes et Potentilles paru aux éditions Volpilière, a accepté de répondre à nos questions. Entretien.

Martine Pagès est une très belle femme : avant d’être écrivain, elle a été mannequin. De ces années de poses, lui restent ce port de tête incomparable, cette façon de prendre la lumière, et ce teint qui frise la perfection. L’oeil est malicieux, le regard franc, et le sourire souvent carnassier devant les aléas de la vie. Croquer pour ne pas être mordue, telle pourrait être sa devise. Et si elle a répondu à ces questions par écrit – les réponses écrites de la plume d’un écrivain sont déjà de la littérature… – elle a bien voulu m’accueillir chez elle pour parler de son livre et nourrir l’interview. Entre thé vert et feng shui, Martine Pagès a décidément une saine existence… toute fleurie.

Planète Campus – Pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Martine Pagès – J’ai passé la majeure partie de ma vie à exercer des métiers totalement dépourvus d’intérêt. C’est le lot de beaucoup d’entre nous, soit, mais j’ai éprouvé un dégoût assez radical, il y a 3 ans, qui a coïncidé avec ma décision d’en finir avec le tabac. L’expression « Il n’y a pas d’âge pour changer de vie » tournait en boucle, à chacune de mes réflexions. Je me suis mise à manger bio, à jardiner et à me jurer de publier un livre, l’écriture étant ma passion. Un hélicoptère providentiel posé en urgence sur ma pelouse en avril 2007 m’a fait prendre la plume, de façon instinctive, dans l’urgence. J’ai envoyé le récit de l’événement, accompagné de la photo de l’engin, au journal de mon département : j’étais devenue, le temps de le dire, à la fois écrivain et photographe. Enfin, relativisons, c’était très symbolique ! Mais, deux mois après, un article m’était consacré dans le même hebdomadaire pour mon 1er prix littéraire. Aujourd’hui, je suis écrivain et photographe, dans une très nette réalité ! Je suis accomplie !

PC – Céanothes et Potentilles est votre premier roman ; mais pas votre première publication. Quel a été votre parcours, ses difficultés, ses embûches, ses joies, pour arriver à ce livre ?
MP – Cela faisait dix ans que j’écrivais et j’ai épuisé mes économies en envois postaux. Lettres de refus, absence de réponse, ne m’ont jamais découragée. Personne n’a le pouvoir de vous ôter une passion. Pour moi, au combat raison contre passion, cette dernière l’emporte, à tout prix. J’ai participé au Concours de la Nouvelle organisé par PPDA et c’est mon texte que les internautes ont choisi : 56,4% des voix, c’était chiffré, précis, ça « mesurait » l’engouement des lecteurs. J’ai rebondi. Je ne sais pas me vendre, mais je sais rebondir. A l’automne 2008 (l’année suivante), j’ai joué le même jeu : la maison Volpilière ouvrait tout juste ses portes et celles d’un prix de… la Nouvelle ! J’ai foncé, encore, et j’ai fait partie des sept lauréats. La « récompense » était de taille : deux mois après, un recueil regroupant les textes gagnants sortait ! Je venais de perdre mon papa, raison de plus pour ne rien lâcher, pour qu’il me voit, d’où il était ! Depuis, je n’ai pas cessé de croire en la vie, même si je souffre d’une sérieuse anxiété… Je préfère mourir de faim que de vivre à contre-courant de mes aspirations. Mon texte s’est distingué, Elisabeth Robert-Mozzanini, fondatrice de Volpilière, m’a très vite commandé un roman. Céanothes et Potentilles est né et se porte bien.

PC – Vivez-vous de votre plume ?
MP – Je ne vis pas de ma plume, car le système est ainsi fait que les droits d’auteurs vous sont versés l’année suivante. Nous verrons bien…

PC – Quel pourcentage sur les ventes percevez-vous ?
MP – Cette question de pourcentages m’est personnelle. Pardon, je ne désire pas y répondre.

PC – Cette consécration arrive visiblement tard, mais elle est là, malgré tout. Qu’avez-vous envie de dire aux internautes qui rêvent de se faire publier ?
MP – J’ai envie de dire qu’il ne faut jamais baisser les bras. Assez éculée, cette expression, lue, entendue cent fois. Mais si vraie ! Et surtout ne jamais rater un train qui passe. Rebondir de tout son poids sur un succès, si discret et modeste soit-il, génère fatalement des retombées. C’est dans ce jeu de « trampoline » que j’ai trouvé le moteur qui m’a fait avancer. La chance amène la chance. En outre, je n’ai jamais fait de constat quant à un résultat qui n’aurait procédé que d’elle. Je regarde en arrière, et je calcule les litres de sueur, de patience, de nuits blanches. J’ai tendance, même si je ne sais pas compter, à estimer la « réussite » d’un projet à 50% de chance et à autant de travail. C’est dire… les efforts à fournir !

PC – Blanche se compare aux fleurs qu’elle aime tant. Laquelle seriez-vous et pourquoi ?
MP – Je suis une céanothe, sans aucun doute : ses fleurs ressemblent à des clochettes et laissent sur le sol de la poudre bleue. C’est une plante généreuse. Je travaille à l’être autant qu’elle…

PC – Il y a également tout un passage sur la réincarnation. Y croyez-vous ?
MP – Oui, je crois en la réincarnation, même si ma religion ne va pas très exactement dans ce sens. En fait, je crois à une sorte d’ardoise à régler, que nous aurait laissée la personne qu’on aurait été dans une autre vie. Alors, fatalement, je crois à un relais de témoin ! Pour autant, même si je suis certaine qu’on est destiné à être « un autre » après notre dernier souffle, je refuse de croire que l’on doive « payer » les plaisirs sur terre. On est déjà là pour s’acquitter de la facture de la sorcière qu’on a été au siècle dernier, ça me paraît suffisant pour ne pas avoir à rendre de comptes !

PC – Combien de temps avez-vous mis pour écrire ce roman ?
MP – J’ai écrit ce roman en deux mois. Je passe presque autant de temps en écriture qu’en relecture.

PC – Comment l’idée vous est venue ?
MP – J’ai jeté un oeil à l’une des choses qui me sont les plus chères : ma terrasse. A nouveau, c’est très classique, mais je parle à mes fleurs. Certaines ont des noms romantiques, musicaux, elles sont espiègles et taquines. Encore un coup de cette fameuse réincarnation, sans doute…

PC – Quelle est votre méthode de travail ?
MP – Je ne suis « du matin » pour rien, en général, et ne suis efficace qu’en début d’après-midi. Pourtant, et là est l’exception, un besoin compulsif me prend dès lors que j’ouvre un oeil. Je saisis mon ordinateur quand le rêve que je viens de faire me hante encore et débranche en début d’après-midi, pour déjeuner. Pendant la pause, je prends quelques notes au stylo, puis je ne quitte plus mon Mac. Je pense que lors d’un tremblement de terre, je serais la seule inconsciente à ne pas s’abriter et à peaufiner sa mise en page coûte que coûte…

PC – Que pensez-vous de l’auto-fiction, genre à la mode ?
MP – Pour moi, l’auto-fiction n’est pas un genre à la mode, mais un terme de plus à la mode. Par définition, on sait tous qu’une autobiographie est romancée, et qu’un roman est inexorablement inspiré de la propre vie de l’auteur. L’auto-fiction existe depuis toujours.

PC – Votre style est pointu, très précis, avec beaucoup de jeux sur les mots, les sons… Pas mal de formules qui pourraient être des slogans publicitaires. Le travaillez-vous dans ce sens, ou est-ce juste naturel pour vous ?
MP – Mon style est musical, et ce n’est pas une exclusivité. La lecture doit être mélodieuse, c’est une évidence. Cela dit, j’ai une maman qui était une pianiste douée et je regrette de n’avoir appris l’usage d’aucun instrument. Ces mélodies me sont naturelles et essentielles, il faut que ça chante. Le titre est aussi de la partie : Céanothe, c’est la note…

PC – Blanche est exploitée par son patron, contrairement à ses collègues masculins à qui on passe beaucoup de choses. La condition féminine au travail est-elle un sujet qui vous tient à coeur ?
MP – La condition féminine au travail est un sujet qui m’a valu bien des soucis, quand j’étais employée… Les écarts de salaires sont totalement intolérables et, bien sûr, injustifiés. Il faut vraiment qu’on m’explique avec des mots simples pourquoi c’est ainsi ! J’ai des exemples de corps de métier qui font passer au double le salaire de l’homme, à labeur égal !

PC – L’action se passe en banlieue, le personnage est une femme seule. Avez-vous choisi ces éléments parce qu’ils sont symptomatiques de beaucoup de cas concrets aujourd’hui ? Ou pas du tout ?
MP – Blanche est seule. Oui, il y a les cas concrets. Et aussi tous les cas d’hommes et de femmes en couple… plus seuls que jamais.

PC – Qu’avez-vous mis de vous de ce roman ?
MP – Comme dans tous mes écrits, j’ai mis tout de moi. Est-ce étonnant?

PC – Vous remerciez plusieurs personnes. Comment ce roman a-t-il été accueilli par votre mère, par Patrick Poivre d’Arvor, et par Philippe Leroy-Beaulieu (qui signe d’ailleurs un poème en guise de préface) ?
MP – Ma mère, depuis le décès de son époux, ne tient plus qu’à l’aide de fils d’or. Je me fais forte de les redorer tous les jours. Un livre publié est une corde à laquelle je l’invite à s’accrocher. Patrick Poivre d’Arvor est à la source mon trajet d’écrivain. Le concours avait duré cinq semaines et c’est ma nouvelle « Feu vert » qui avait été sélectionnée avec une autre par la rédaction, la première semaine. Sans l’enthousiasme de Patrick et de son équipe, je n’aurais pas été finaliste. Ce prix est un lien d’amitié entre nous. Je suis très respectueuse de l’homme et de son parcours. Il est présent à chaque tournant littéraire de ma vie. Il m’envoie un petit mot discret, chaleureux… et je rebondis ! Philippe Leroy-Beaulieu est un ami très cher. Sa plume s’imposait, comme vous me parliez de musique. Il écrit des poèmes qui se chantent, j’avais besoin d’une chanson pour « ouvrir » l’ouvrage. Philippe a suivi pas à pas toutes les étapes de l’ouvrage. Et je rebondissais, encore et encore, sous ses encouragements. Au-delà de la star qu’il est en Italie, son pays d’exil, c’est un homme profondément bon. Il est des rencontres si évidentes qu’on ne trouve pas les mots. Pardon…

PC – Vous avez un blog, un profil Facebook, un compte Twitter… Pensez-vous que les réseaux sociaux soient incontournables aujourd’hui pour un auteur ?
MP – Les réseaux m’ont ouvert des portes incroyables ! Sans Facebook, je n’aurais pas eu vent du concours Volpilière ! Nombre d’achats en ligne ont été générés par Facebook. J’ai aussi un ami, Jérôme Cheval qui, par ce biais, m’a mise en contact avec la Fnac pour réaliser une dédicace, ce qui est surréaliste pour une auteure débutante ! Je suis encore peu habile avec Twitter, mais je n’oublie jamais d’y mettre mon actualité à jour, car je sais que c’est un réseau social très utilisé. Pour être tout à fait honnête… j’ai appris le fonctionnement précis de Twitter sur votre blog, mais je balbutie encore…

PC – Pensez-vous que le Kindle ait de l’avenir ? Pensez-vous que les livres électroniques, à long terme, entraîneront la disparition de l’objet livre ?
MP – Le Kindle, je n’y crois pas une seule seconde. Lire un livre de papier fait éprouver des sensations uniques. On le promène, il habite notre sac à main, orne nos tables de nuit, avec cette odeur qu’on lui sait. Pour être très attentive à mes cinq sens, je sais qu’il ne me séduira pas. A vrai dire, ce sujet m’irrite. Et pourtant, je suis pour ce que l’on nomme « le progrès » et applaudis des deux mains les démonstrations spectaculaires ! (Je fais partie de la grande famille de dépressifs suite au film Avatar…) Mais le Kindle ne passera pas par moi ! Quant à imaginer une disparition du livre-papier, je ne serai pas si pessimiste : le livre est le livre, et on ne détruit pas, sur un effet de mode, un objet si sacré. Le livre au bûcher, c’est un fantasme ou quoi ? Je ne dois pas être de mon siècle…

PC – Quelle est votre actualité ?
MP – C’est encore secret, comme la couverture n’est pas encore finalisée, mais un second roman, diamétralement différent du premier, va prendre vie, dans quelques jours…

PC – Que peut-on vous souhaiter pour l’avenir ?
MP – J’aimerais, si j’en ai le choix, qu’on me souhaite plus de légèreté ! Je donnerais beaucoup pour apprendre à prendre de la distance. On ne se refait pas, c’est ce que l’on dit. Pourtant, je suis aussi devenue photographe. Pour le moins étonnant, non ? Alors je me plais à penser que tout est possible. Cet hélicoptère a tout déclenché. Je crois qu’il faut être attentif aux moindres signes, les capter, en faire la bonne traduction.

Propos recueillis par Florence Porcel


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