THEATRE : L’AFFAIRE GOLGOTA PICNIC

D’emblée je dois dire que je ne connaissais pas le travail de Rodrigo Garcia mais j’ai été un peu déçu. Je doute de l’intérêt de certaines performances et puis le côté tout le monde à poil et on se caresse… bon c’est pas nouveau nouveau et ça n’apporte pas grand chose je trouve. Pire ça parasite le texte qui est riche à bien des endroits.

Néanmoins on peut reconnaître des qualités à la pièce de Garcia, succession de monologues tantôt comiques tantôt pathétiques avec une critique pas inintéressante de toutes les vertus de la postmodernité. La dernière partie de la pièce est assez extraordinaire, inattendue et réconcilie tout le monde à mon sens.

Mais plus que la pièce ce sont les répercussions qu’elle a suscitées que je voudrais aborder.

Christianophobie !

Affirmer l’héritage (notamment) judéo-chrétien de la France c’est enfoncer une porte ouverte : il suffit d’entrer dans un musée pour s’en convaincre. Les débats passionnés autour de Golgota picnic l’illustrent bien et d’ailleurs, comme chacun sait, le XXIème siècle sera religieux ou ne sera pas comme ne l’a pas écrit André Malraux.

Mais jusqu’à preuve du contraire la France est une République laïque qu’on le veuille ou non et on peut s’y exprimer librement dans les limites prévues par la loi. Libre à vous de penser que la loi est mal faite, n’empêche qu’entre libéraux et conservateurs, mieux vaut prendre le parti des libres-penseurs, quitte à prendre des coups ; plutôt que celui des censeurs avec lesquels vous n’aurez pas de marge de manœuvre et ne pourrez vous défendre.

D’autre part le Christ est aussi une personne publique, au même titre que Mickey ou John Lennon. Dans ce cas ce n’est pas le Dieu des chrétiens qui est bafoué, c’est une image ou une idée de Celui-ci. C’est fondamentalement différent. Le jour où on verra des hosties consacrées sur une scène de théâtre on pourra prendre les armes, en attendant offusquez-vous si vous le voulez mais par pitié ne dites pas c’est Jésus qu’on assassine !

Pour ma part je ne suis pas convaincu que taper à bras raccourcis sur une religion (mais est-ce le cas ici ? Je ne le crois pas) entretienne un climat favorable au vivre ensemble. De là à parler de persécutions… Si les catholiques de France se disent persécutés, que diront les Nigérians ?

C’est pas de l’art !

Difficile de juger des qualités de la pièce sans l’avoir vue (difficile de soutenir que les escargots de Bourgogne c’est dégueulasse tant qu’on n’y a jamais gouté vous en conviendrez). Bizarrement les critiques les plus véhémentes envers la pièce et Garcia, proviennent de personnes que ne connaissent ni l’un ni l’autre.

Ceci étant dit, qui êtes-vous pour décréter que ceci est de l’art et cela n’en est pas ??!  Pour rester dans des comparaisons culinaires ce n’est pas parce que vous avez en horreur les endives braisées que votre voisin ne les adore pas, lui. Ce n’est pas facile à admettre mais au même titre que certains de nos semblables aiment les endives braisées, certains aiment le théâtre avant-gardiste ou dit avant-gardiste quand d’autres préfèrent Nolwenn Leroy, Rambo, Schubert ou les masques vaudous du nord Soudan. Encore plus trivial on dira : tous les goûts sont dans la nature. Et cela ne veut pas dire pour autant qu’ils se valent tous.

Dire c’est pas de l’art ne signifie pas grand chose au fond. Tout simplement par ce qu’il n’existe pas encore de recette magique avec laquelle on pourrait dire à grands renforts d’incantations et de pattes de poules : ceci est de l’art, ceci n’en est pas. Bien sûr on peut dire j’aime ceci, ça me touche, ça me parle, ça me bouleverse, ça me fait des guilis guilis dans le bas du ventre, etc. Et inversement, je n’aime pas, ça ne me touche pas, etc.

Chercher à définir l’art c’est un peu comme vouloir définir Dieu ou l’Amour. Comme si on pouvait les faire rentrer dans des petites boîtes en quelques mots. Alors bien sûr on trouvera toujours des formules toutes faites tirées de je ne sais quel prélat du XVIIème siècle, du type L’art élève l’homme (sans blagues ?!) ou plus tard, moins clérical et plus romantique, l’art mes enfants c’est d’être absolument soi-même (Verlaine). Génial et alors ?

Le plus amusant c’est que les tenants du c’est pas de l’art sont en général – vous ferez l’expérience – les moins consommateurs d’art justement. Ou alors ils sont purement exclusifs dans leurs choix et lisent les mêmes choses, fréquentent le(s) même(s) théâtre(s) et les mêmes expos. On les repère très vite : ils rejettent en bloc l’art contemporain – qu’ils confondent avec l’art moderne – et tempêtent contre Picasso, cet escroc, qui peint aussi bien que leur petite cousine handicapée. Ils ne connaissent ni Branly, ni Beaubourg mais très bien Versailles.

Débattre avec eux est vain, ils détiennent la vérité. En cela, ils ont reçu leur récompense !

Civitas au rond-point

Saint Nicolas du Chardonnet (l’Institut Civitas en tête) a compris qu’était venu pour lui le temps de se faire une pub d’enfer si je puis dire et de se payer les bobos du théâtre du Rond-Point (qui n’ont pas lu Monseigneur Lefebvre).

En l’espace de quelques semaines on a eu Piss Christ (Jésus prend un bain de pisse), sur le concept du visage du fils de Dieu (Jésus prend des cailloux et du caca) et Golgota picnic (Jésus prend cher). C’était le moment de sortir les drapeaux et les chapelets : Christ blasphémé, chrétiens indignés / la christianophobie ça suffit et j’en passe. Résultat ils font la une des journaux. Golgota picnic c’est un jeu à somme positive : grosse pub pour la pièce, grosse pub pour Civitas.

Alors que penser de tout ça ?

D’abord pas la peine de se farcir la Somme théologique, Bossuet ou Mgr Lefebvre, il n’y a pas de débats possibles entre les dits bobos (le Rond-Point) et les dits bigots (Civitas). L’abbé Régis de Cacqueray (supérieur du District de France de la Fraternité Saint-Pie-X) n’accepte pas que l’on se moque de Dieu, il me l’a dit mot pour mot lors de la manifestation du 11 décembre 2011 à Paris. On ne peut être plus clair.

Je peux comprendre que l’on puisse être choqué par une pièce, une affiche, une photo, un livre, etc., comme je peux très bien comprendre que l’on fasse une veillée de prière à Notre Dame de Paris ou ailleurs le soir de la première. Mais plastronner devant le théâtre, étendard au poing, un cœur de chouan épinglé à la poitrine, là ça me dépasse. Après les (nombreuses) interpellations lors des rassemblements devant le théâtre de la Ville et le théâtre du Rond-Point, l’abbé Régis de Cacqueray a parlé de rafles catholiques. Jusqu’où irez-vous Monsieur l’abbé ?

Laissez faire laissez passer

Je crois qu’il y aurait beaucoup d’autres arguments en faveur de la défense de Garcia et des autres (c’est un catholique qui parle). Je crois que cette histoire c’est d’abord la manifestation d’un sentiment d’impuissance de certains catholiques, la volonté de se réaffirmer comme tel et la peur d’une interprétation du message divin non conforme ou non conventionnelle.

Je ne me permettrais sûrement pas de juger les personnes blessées par cette pièce. J’ai voulu simplement montrer à quel point, globalement, il s’agit plus selon moi d’une affaire politique et idéologique que d’une affaire de foi.

Et puis, pardon, personne n’est obligé d’aller au théâtre du Rond-Point ou de lire Rodrigo Garcia.

Il y a quelques années je me souviens avoir vu une farce de Dario Fo pour son entrée au répertoire de la Comédie Française pendant laquelle on pouvait voir le Christ tombé ridiculement de sa croix à plusieurs reprises, ainsi qu’un pape et une Vierge grotesques. C’était une pure farce, drôle et rondement menée. Qui s’en est offusqué alors ? Personne.

Les exemples ne manquent pas.

Pourquoi la société au sens large, devrait-elle empêcher la critique des mythes et des dieux dont elle est, à travers sa constitution et son expression, elle même le produit ?

 

Paul Berthon

 



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