L’Evangile selon LaChapelle

Monnaie de Paris. Le décor est chic, empesé, séant. Jusqu'à ce que les trompettes malicieuses de David LaChapelle résonnent. Alors son humour glacé et son terrible sens de l'à propos envahissent le décorum ambiant d'images cataclysmiques. La bulle Hollywood éclate en orgies sirupeuses, dégoulinantes, éclaboussant les vedettes, entraînant dans sa chute aux abysses tous les symboles de notre société capitaliste à paillettes. Voilà le programme de la plus grande rétrospective jamais organisée en France du photographe cynique David LaChapelle. Etapes.

 » Écris donc ce que tu as vu, ce qui est, et ce qui doit arriver ensuite  » (Apocalypse chapitre 1, verset 19). Il semblerait que David LaChapelle, Cassandre glamour, suit cette injonction à la lettre, nous montrant avec force images décadentes l'état et la fin annoncée de notre monde déliquescent. Si cette fin du monde est larvée dans certaines photographies, des signes avant-coureurs trahissent comme cette discrète larme de diamant à l'œil de Naomi Campbell, superbe esclave ferrée au cou et aux poignets, attendant sur cette table virginale, ou ces crânes à peine perceptibles dans certains clichés. C'est clair : on va tous y passer. Les femmes nanties et les enfants pourris d'abord. Dans ce monde en perdition, Jésus a le téton percé et tente de ramener sur le droit chemin ses brebis égarées. Mais les brebis sont dévoyées et Jésus semble échouer. Pour le réconforter, une Marie-Madeleine en minijupe de cuir rouge lui lave sensuellement les pieds. Puis, les eaux antédiluviennes exondent de toutes parts et viennent baigner les cathédrales immenses où d'improbables ouailles se confessent d'urgence et les musées où la culture séculaire, ici un Courbet, là une statue antique, vit ses derniers instants de grâce. Le Déluge ensuite engloutit hommes, femmes, enfants, les noyant dans les mêmes eaux où surnagent les vestiges de nos sociétés impies : l'enseigne de Starbucks rejoint celle de Gucci dans le même tourbillon apocalyptique. Dans cet univers cataclysmique, des bimbos de luxe errent en tenues légères dans les décombres, entre les maisons explosées et les routes défoncées. Les toutes dernières œuvres du photographe ne se départent pas de cette atmosphère licencieuse. Ses photographies sculpturales sont d'autant plus obscènes qu'elles sont en trois dimensions et grandeur nature. L'on contemple alors fasciné une véritable scène de débauche mêlant sans pudeur signes religieux et symboles de dépravation : alors que des cochons dorés copulent complaisamment sur une montagne de pièces, des enfants montrent du doigt des images bibliques. Dans une flamboyance de kitsch pop et racé, David LaChapelle critique et s'amuse. Nous aussi.


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