Massive Attack : tous aux abris !

Une explosion en clair-obscur et commise dans l’ombre. Les corps, les têtes et les coeurs sont démantelés, les frontières physiques tombent et se confondent avec l’infini. Le nouvel opus s’appelle Heligoland, du nom d’une île qui a connu une explosion redoutable. Avec Daddy G, l’un des fondateurs de l’attaque, on revient sur 20 ans d’existence et de splendeur expérimentale.

 

Massive Attack est un objet indéfini aux multiples visages, parvenez-vous à vous définir malgré tout ?

Même au début, nous ne savions pas exactement ce que Massive Attack était et serait. Nous ne savions même pas si ce serait un groupe ou un projet plus flou. Nous avons toujours été quelque chose de très fluctuant, avec beaucoup de personnes satellites qui viennent de temps à autres…C’est notre façon de travailler. C’est une très bonne question, de savoir ce que nous sommes, et je crois que je ne saurais jamais. Nous pouvons être tout ce que nous voulons, c’est plutôt ça. Un groupe, une marque, un cycle…L’important, c’est que l’auditeur puisse tout de suite dire, de chaque chanson, que c’est une chanson de Massive Attack, sans pouvoir vraiment expliquer pourquoi cette évidence.

Parvenez-vous toujours à trouver une cohérence avec tous ces satellites et qu’est-ce que cela signifie pour vous ?

Travailler avec toutes ces personnes dégage une certaine beauté. Nous avons pu travailler avec chacune d’elles et d’une façon différente de ce qu’elles ont l’habitude de faire, de même pour nous. On ne peut pas vraiment dire qu’on ait créé quelque chose de nouveau en soi, mais nous avons trouvé un point de rencontre. C’est quelque chose qui demande une grande faculté d’invention, d’expérimentation en rencontrant des idiomes différents. Devoir se sortir des méthodes habituelles, ouvre la voie à des créations inhabituelles. Nous n’avons jamais travaillé avec Tunde Adebimpe de TV On the Radio ou Martina Topley de Bird auparavant. Ce sont des relations en elle-mêmes que naissent nos créations.

Qu’est-ce que les inventeurs du trip-hop ont à dire sur ce courant musical aujourd’hui ?

Nous, des inventeurs d’un nouveau courant musical ? Nous n’avons jamais voulu faire du trip-hop ou quoique ce soit d’autre ! J’ignore ce que c’est, même si je sais que les gens disent que Massive Attack, c’est du trip-hop, même si les journalistes disent que Massive Attack, c’est du trip-hop ! Nous sommes labellisés trip-hop, sans trop savoir pourquoi ni ce que cela peut bien signifier.

Les femmes ont une place primordiale sur Heligoland ?

Massive Attack a toujours voulu faire appel à des chanteuses. C’est une réaction à une réalité de départ : le projet ne comprenait que des hommes, évoluait dans un environnement masculin avec beaucoup d’hommes autour. Nous avons voulu joindre à tout ceci une identité féminine, plus délicate, plus tendre, plus nuancée et discrète.

Et il y a un côté froid dans Massive Attack aussi, important pour cet album ?

Ce que tu appelles froid, je l’appellerais intime. Oui l’album est habité d’ombres et de personnalités un peu sombres, mais c’est justement ce qui permet de créer une atmosphère très proche d’états que nous pouvons traverser, et donc quelque chose de presque chaud aussi, d’humain. Et puis nous parlons de sujets sérieux aussi, qui demandent cette couleur.

Le groupe-projet-cycle est-il traversé par les ombres de son environnement, ou les siennes propres ?

Nous ne pouvons pas empêcher notre environnement de nous influencer. Massive Attack, c’est nous et ce qu’il y a autour, mais je ne sais pas à quel degré ni trop comment. Mais ce qu’il se passe actuellement, la récession, la guerre en Irak, le gouvernement, le fascisme, tout aussi bien que nos états amoureux nous influencent. Cependant, Massive Attack n’aide pas les gens à prendre telle ou telle décision, à avoir une opinion, à agir : nos messages sont plus quelque chose de subliminal qui peuvent influencer quelqu’un dans ce qu’il est, ce qu’il ressent. Mais nous n’avons pas une collection de chansons où chacune est un message clair qui appelle à faire telle ou telle chose.

Vous vous projetez visuellement aussi, dans un exercice quasi-cinématographique ?

Il y a bien sûr un côté cinématographique dans ce que nous faisons. Nous voulons créer un séjour, comme si les gens partaient en voyage ! Mais le monde du cinéma en lui-même, nous n’aimons pas trop travailler avec. Tout est sous contrôle, le pouvoir de création ne t’appartient pas, mais il appartient davantage aux producteurs et à tous les autres. La musique devient quelque chose de secondaire quand elle se trouve mêlée à ce monde. Nous préférons justement perdre le contrôle plutôt que de dire à chacun exactement ce qu’on attend de lui.

Peux-tu présenter l’album à partir de sa couverture à nos lecteurs ?

Le nom Heligoland évoque une île qui était une base sous-marine durant les deux guerres mondiales, située dans la Mer Noire. C’est là que s’est produite l’explosion conventionnelle la plus puissante, quand les Britanniques ont détruit les installations en 1946. Une explosion qui pouvait soit être un succès, soit un échec. Nous aimions cette image. Pour la couverture, nous avons voulu représenter le sort de la population noire aux Etats-Unis dans les années 40 ou 50. Elle n’avait finalement pas réellement d’identité. Une métaphore pour représenter cette question générale : qui tu es, qui nous sommes, qui sont les Français ? Grande incertitude politique et artistique ! Alors ici, est-ce que tu vois un blanc, un noir, ou autre chose ?

Les surréalistes ne sont plus les seuls à rêver d’explosion.

Massive Attack, album Heligoland

sortie le 8 février 2010

Label EMI / Virgin

 


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