Cours, Alexia, Cours

À l’affut du moindre bruit susceptible de troubler l’ambiance feutrée du très élégant café Le Zimmer, place du Châtelet, nous attendions Alexia Barlier. Escomptant une entrée à grands fracas de l’actrice, qui brutaliserait le serveur au lieu de le saluer, qui pulvériserait la porte plutôt que de l’ouvrir. Affichant le même air d’animal apeuré qui mobilise ses forces à des fins de survie. À la fois vulnérable et herculéenne, à l’instar de l’héroïne aux cheveux flamboyants de Cours, Lola, cours de Tom Tykwer, nerveuse, débridée, courant à perdre haleine. Nous l’attendions telle qu’elle est dans Kali. Au lieu de quoi, une charmante jeune femme se présente à nous, son sourire confondant qui ferait fondre n’importe quel glaciologue en mission.

Nous l’imaginions échevelée, aux abois. Or, maquillage discret, cheveux blonds cendrés parfaitement lisses, haut violine que rehausse une longue chaîne en argent qu’elle porte en sautoir, hommage élégant à ses origines anglo-saxonnes, Alexia Barlier arbore un maintien très british qui sied à la perfection au décor raffiné du café Le Zimmer. Nullement guindée, la jeune femme affiche une fraicheur qui la rend immédiatement sympathique. De sa voix un peu suave, qu’elle laisse traîner lorsqu’elle réfléchit et qu’elle ranime d’un éclat de voix, elle nous narre son parcours.

Son rôle quasi muet, tout en tension, de Kali, l’héroïne de la dernière série de Canal Plus : se réveillant amnésique dans l’Eurostar, Kali se rend compte qu’elle parle français, ce qui est nouveau pour elle. À son arrivée sur Paris, elle est pourchassée par des mercenaires dont le but n’est pas, a priori, de discuter avec elle de ce bilinguisme soudain. Se défendant lors des premières attaques, elle s’aperçoit également qu’elle maîtrise avec maestria les techniques de close-combat. Pour jouer ce rôle, Alexia Barlier a dû suivre trois semaines de coaching intense avec Alain Figlarz. À l’origine, celui qui a été le coach de Matt Damon pour La mémoire dans la peau, entendait envoyer la jeune actrice dans un camp paramilitaire. Mais le temps a manqué et au lieu de quoi, la traitant comme un garçon, il l’a épuisée avec force abdos et pompes. La jeune actrice a été couverte de bleus et à dû s’oindre de pommade pour pallier la douleur. Mais pas un poil découragée, Alexia Barlier, vive et exaltée, trouve cette expérience fort « intéressante car on évolue dans des mondes où l’on est très protégés, où l’on souffre mais sur des plans émotionnels, pas physiques. J’ai vraiment pris conscience de mon corps ». Véritable catharsis, ce rôle lui a permis de se défouler, la jeune femme ayant reçu une éducation anglo-saxonne drastique. « Il ne faut pas faire de vague, être poli, aimable, respectueux. Du coup, jouer Kali est vraiment libérateur : enfin, on a le droit d’être comme ça ! ». Ses origines néo-zélandaises lui furent utiles à plus d’une reprise, puisqu’il est fort probable que ça l’ait aidé à décrocher des rôles de femmes fortes, les femmes néo-zélandaises étant réputées pour leur opiniâtreté. Athlétiques, ayant obtenu le droit de vote un siècle avant les Françaises, elles occupent en outre de hautes fonctions au gouvernement. Une impétuosité que la jeune femme a su utiliser et, à coup sûr, tempérer, puisqu’il émane d’elle une douceur peu compatible avec une quelconque rigidité.

Nul doute n’est admis : Alexia Barlier apprécie de jouer les femmes fortes. Assumant son côté garçon manqué, elle aime « faire sortir toute cette rage, toute cette colère et être à la hauteur de personnages qui vivent des choses très dures ». Elle ne déteste rien de moins que de jouer un rôle qui ressemble trop à quelque chose qui a déjà été fait ou de n’avoir qu’à donner la réplique à d’autres. Les rôles, « notamment de femmes courageuses, fortes et indépendantes » sont son créneau, qu’on se le dise. Quand on lui demande s’il lui sera possible de jouer des rôles de midinettes après Kali, Alexia Barlier rit et répond d’un ton ferme : « Oui, si c’est assumé et que c’est un vrai parti-pris, que c’est un rôle de midinette où on peut se donner à fond ».

Si Alexia Barlier incarne avec autant de talent des rôles de battante, c’est que l’exigence qu’elle porte à l’écran n’est en réalité que le miroir de la détermination de la jeune femme. Elle commence le théâtre à quinze ans, prenant des cours le samedi après-midi au cours Simon pendant le lycée. Après un bac sciences économiques et sociales, elle décide d’intégrer l’université en information communication, tout en suivant les cours d’une école professionnelle de comédie, et commence à faire quelques tournages. Un programme chargé à dessein car, personne, dans son entourage, ne faisant partie de ce milieu-là. « Ce n’était pas gagné », reconnaît la jeune femme. Invoquant le facteur chance par humilité, l’actrice continue de se former avec une grande exigence, ne s’épargnant rien. À ce jour, malgré un CV fort honorable pour son jeune âge (Talents Cannes en 2007, Alexia Barlier a joué dans des courts-métrages des frères Larrieu ou aux côtés des plus grands noms français, Pierre Arditi, Jacques Villeret, Catherine Frot, Daniel Auteuil, Jean-Pierre Darroussin), elle tient à effectuer chaque année un mois de stage avec un coach américain, à travailler tous ses rôles en amont, à prendre encore des cours, parfois même, à faire quelques petits boulots pour se financer en attendant la prochaine proposition de tournage. La jeune femme connaît la dure réalité du métier, gardant la tête sur les épaules pour faire son bout de chemin dans un milieu qu’elle définit en utilisant un joli oxymoron : « instabilité constante ».

« C’est un apprentissage qui ne se termine jamais ». Apprendre, se nourrir, sont des mots récurrents dans le discours d’Alexia Barlier, qui est parvenue à garder intacte sa capacité à s’émerveiller. Insatiable, elle regrette à ce sujet ses années fac : « Ça me manque, j’aurais adoré continuer. Quand on est comédien, on peut manquer de stimulation intellectuelle. On essaie de lire, d’aller au théâtre, de se tenir au courant de l’actualité culturelle mais ce n’est pas la même chose que d’être dans un amphithéâtre, à écouter un prof passionnant parler de quelque chose qui le porte ». Elle revivifie même pour nous, s’animant, le souvenir de son sujet de mémoire de maîtrise : la construction sociologique de la star de cinéma.
Cette carence intellectuelle lui est d’autant plus cruelle qu’Alexia Barlier a eu l’habitude très tôt de courir, pour une fois non pourchassée, les musées. Son grand-père artiste peintre et son père, propriétaire de plusieurs galeries d’art spécialisées dans le figuratif contemporain, l’y ont poussée. Les peintres torturés et les cinéastes dérangés constituent sa nourriture intellectuelle de prédilection : Egon Schiele, Francis Bacon ainsi que David Lynch sont ainsi convoqués lorsqu’il s’agit d’en apprendre un peu plus sur les goûts de la demoiselle.

Etonnés de ce que la charmante jeune femme se damne pour des peintres de la beauté convulsive, nous apprenons que, « double comme tout le monde », l’actrice n’est pas qu’une femme forte et qu’elle désirerait d’ailleurs se confronter à des personnages plus fragiles. Des personnages « vivant des moments de solitude intense, qui sont fous, en décalage ». De Séraphine à Kate Winslet dans Les Noces rebelles jusqu’à Julianne Moore dans The Hours, le tableau des femmes fortes se trouble.

Quoi qu’il en soit, Alexia Barlier a la langue cinématographique. Qu’elle décrive les courses-poursuites dans Paris, les sauts de l’ange du haut des containers, les cameramen à rollers, les ingénieurs sons dans le coffre de la voiture pour Kali ou qu’elle narre les plateaux de cinéma qu’elle contemple avec des yeux d’enfants, qu’elle conte les lumières, les palmiers, le vieux kiosque sous lequel se tient Agnès Jaoui, les robes des années 20, Alexia Barlier rafraîchit ces images avec une telle candeur et une telle vivacité qu’il est impossible d’y être insensible.
Et si la demoiselle dit si bien, c’est qu’elle a le sens aigu du partage. « Tout le monde devrait faire du théâtre, c’est une ouverture sur soi, sur les autres, sur le monde », s’exalte t-elle, l’étincelle à l’œil. Un peu de fraicheur et de simplicité dans ce monde abrupt.

Crédits photo : © Céline Nietzaver


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