Kony 2013 et intérêts américain : bilan de chasse du seigneur de guerre.

L’année dernière, une vidéo avait fait le buzz concernant un certain seigneur de la guerre « Joseph Kony ». Beaucoup ont vu dans ce documentaire un outil de propagande afin de justifier l’expansion militaire du « commandement des Etats-Unis pour l’Afrique » (AFRICOM). Revenons tout d’abord au décryptage des événements avant de voir les intérêts américains de s’être lancé dans une telle entreprise.

[youtube]http://www.youtube.com/watch?v=LB3_8bvwarI[/youtube]

Le fameux documentaire fait de l’Ouganda un pays tremblant face à la terreur qu’incarne Joseph Kony, seigneur de la guerre exploitant des enfants soldats depuis plus de 20 ans. La distorsion de la réalité présenté par le documentaire a fait mouche, par ce storytelling « tous unis contre ce visage incarnant le mal absolu », Invisible Children (société fondé par Jason Russell, réalisateur du film et initiateur du mouvement) a réussi son coup et a engrangé pour l’année 2012 la somme de 31,939 millions de dollars (dont à peu près 20 millions rien que pour la campagne) soit trois fois plus que pour l’année 2011.

Bien que 81,48% du budget est selon l’ONG directement versé « dans le programme » , nous pouvons observer que le programme se décompose donc en quatre parties et seul un quart ne sert qu’à une aide concrète pour les victimes, le reste servant à la promotion et à la protection de l’ONG qui prend plus des allures d’entreprise à but lucratif. (1)

 Rappel : La menace n’était plus présente en Ouganda.

Le fait est d’autant plus étrange que pour rappel, les Ougandais n’estimaient plus la LRA, le groupe révolutionnaire de Joseph Kony comme une menace. En effet, le chef du groupe aurait été tué lors de sa fuite ou bien en fuite depuis plus de 6 ans en date de la campagne de propagande lancée par Invisible Children. (2)

Les actes sont cependant véridiques, les atrocités commises ont bien eu lieu mais ils ont duré 26 ans sans médiatisation de masse sur le sol européen ou américain.

Joseph Kony n’est pas qu’une chimère, le nombre d’enfant enlevé se situe entre 60 000 et 100 000 personnes, mais en 2012, l’ONU a compté 220 enlèvements (pour un quart d’enfant) et 45 morts au cours de 212 attaques. Le groupe est toujours actif mais énormément affaibli, l’intervention de l’an dernier est donc tardive et suspecte. (7)La découverte récente de pétrole dans le pays et l’intervention militaire américaine sont pour tous liées malgré le démenti des ambassadeurs américain Daniel Travis et  Virginia Blaser.

« Les Etats-Unis sont profondément engagés à soutenir les efforts de l’Ouganda pour éliminer la menace de la LRA et de fournir une aide humanitaire aux régions victimes de la LRA » (3)

 Cependant, le gouvernement Ougandais soulignait le risque de l’engouement autour de cette affaire :

“Une mauvaise interprétation des contenus des medias peut mener à faire croire à certaines personnes que la LRA est actuellement active en Ouganda »

« Il doit être clarifié qu’aujourd’hui, la LRA n’est active nulle par en Ouganda. » (4)

Les américains avaient un intérêt à être présent alors que sa présence était relativement utile pour le peuple ougandais sur l’affaire.

William Engdahl a souligné que la médiatisation de Joseph Kony vise « à saper l’influence chinoise en Afrique Centrale » (5). En effet, les acteurs principaux seraient Tullow Oils (Angleterre), Total (France) et la compagnie chinoise CNOOC (6). L’envoi de 100 hommes non-combattants mais conseillers américain est encore fois, selon les Etats-Unis, une manière de soutenir le pays, mais la perception n’est pas la même du côté africain. Un article n’hésite pas à parler de néocolonialisme, en soulignant la coïncidence entre l’envoi des troupes et de la découverte récente du pétrole ainsi que l’influence américaine via AFRICOM qui serviraient avant tout les intérêts américain avant le développement du continent. (7)

Cette bipolarité dans l’interprétation de la situation actuelle est intéressante car elle appuie de nouveau la sensation d’assister à une tentative de masquer la réalité afin de la ré-agencer à son avantage tel le film Kony 2012.

Les Etats-Unis ont investi environ 560 millions de dollars et non pas uniquement dans un but purement humanitaire comme le film ou Obama laissent entendre. En 2013, nous ne pouvons pas affirmer que le pays va mieux, le pays est toujours entaché par sa réputation d’être un pays corrompu (8), avec par exemple la réélection de Yoweri Museveni pour son quatrième mandat en 2011 (27 ans de règne) (9). Le pays fait également parler de lui pour l’oppression militaire ou policière ou du non-respect de la liberté d’expression avec sa 104e position  sur 179 dans le classement de la liberté de la presse dans le monde en 2013. (10)

Le cas de Joseph Kony est-il une priorité absolue désormais ? La traque d’un seigneur déchu mérite-t-elle un investissement de 560 millions de dollars alors que les problèmes dans le pays sont ailleurs. De plus, l’union africaine (UA) aurait très bien pu s’occuper de ce groupe désormais fortement réduit. Les ougandais n’ont pas eu besoin des Etats-Unis pour chasser la LRA du territoire en 2008.

Des observateurs américains prévoient une guerre en Ouganda en 2014, mettant en avant « la faiblesse du gouvernement, le clivage ethnique et l’activité de groupes rebelles ». A cela, le ministre des affaires Ougandais dénote le manque de connaissance outre-Atlantique sur la réelle situation. Mais cela arrangerait bien les Etats-Unis qu’un conflit éclate, car nous pouvons imaginer un scénario similaire à celui de la Libye où 36 000 employés chinois ont été rapatriés après l’insurrection de 2011. (11)

Que devient Joseph Kony ?

La mission absolue était de l’arrêter d’ici la fin 2012 en le rendant célèbre. Grâce au Guardian, nous avons pu retracer un parcours approximatif de la LRA et donc hypothétiquement de Joseph Kony. Les soupçons du lieu où se cache le groupe se portent dans la région centre du continent.

En janvier 2013, l’armée de l’Ouganda déclare avoir tué le commandant des rebelles, un des bras droit de Joseph Kony dénommé « Binani » en Centrafrique.

Le 3 Avril 2013, en Centrafrique, les troupes d’AFRICOM ont suspendu les recherches par manque de coopération avec le nouveau gouvernement Centrafricains.  En réponse à cela, l’administration Obama a annoncé une récompense de 5 millions de dollars pour toute information pouvant mener à la capture de Joseph Kony.

En juin 2013, la LRA serait impliqué dans un trafic de défense d’éléphant en République démocratique du Congo. (12)

L’affaire Kony2012 à la base servait des causes nobles mais il suffit de creuser pour observer que ce n’est pas par pur altruisme que d’avoir agit. Certains (5) voient en Kony un spectre comparable à celui de Ben Laden, une figure sur laquelle se concentrer afin de mettre plus d’opacité sur les réels enjeux. En 2013, il n’y a rien qui affirme que Joseph Kony est mort ou vivant, la capture de LRA au vu de sa puissance actuelle parait plus pour un prétexte afin de permettre une implantation de son influence.

 

Jonathan PHANHSAY-CHAMSON

 

 

(1)   http://www.heraldsun.com.au/news/world/remember-kony-2012-well-its-2013-what-happened/story-fnd134gw-1226550575923

(2)   http://www.youtube.com/watch?v=-e4eWiwWgfQ et http://www.youtube.com/watch?v=7DO73Ese25Y

(3)   http://www.newvision.co.ug/news/18504-us-denies-interest-in-uganda-oil.html

(4)   http://www.newvision.co.ug/mobile/Detail.aspx?NewsID=629558&CatID=1

(5)   http://www.voltairenet.org/article173906.html

(6)   http://www.oilinuganda.org/facts-faqs/uganda-oil-facts-faqs/who-are-the-main-international-oil-companies-in-uganda.html

(7)   http://www.infowars.com/uganda-oil-us-africa-command-a-tool-to-recolonize-the-african-continent/

(8)   http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMTendanceStatPays?codePays=UGA&codeTheme=15&cod&codeStat=BM.CPI.IN

(9)   http://www.foreignpolicy.com/articles/2011/02/17/heads_i_win_tails_you_lose

(10) http://fr.rsf.org/press-freedom-index-2013,1054.html et http://fr.rsf.org/ouganda-un-documentariste-americain-30-07-2013,44984.html

(11)  http://www.observer.ug/index.php?option=com_content&view=article&id=24634

(12) http://www.theguardian.com/world/joseph-kony

 


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