Expo: Né dans la rue

 Né dans la rue a débuté le 7 juillet dernier et connaît un succès tel que l’exposition est prolongée jusqu’au 10 janvier 2010. La preuve que le public a envie de découvrir cette culture urbaine qui envahit les murs de toutes les villes de la planète. Votre serviteur aussi s’était d’ailleurs laissé bercé par ces tags en tous genres, dès le démarrage de l’exposition. Mais l’esprit critique – et une certaine mauvaise foi peut-être – est revenu au galop : le graff n’a rien à faire au musée! Peut-être. Faut-il encore le vérifier.

 

Les taggers se font plaisir

Jeudi pluvieux sur la capitale. Il fait froid et l’ambiance est maussade sur le Boulevard Raspail. Quelques gouttes de pluie perlent. Rien de traumatisant mais le gris ne plaît guère à Paris. Visiblement moins dépendants de la météo, deux taggeurs sont au travail. 

La Fondation Cartier a eu cette excellente idée: laisser la devanture longue d’une trentaine de mètres comme espace d’expression à tous ceux qui veulent graffer. Les vrais taggeurs – pas les bobo qui trouvent cela classe bien au chaud dans une galerie – sont donc aussi conviés. Mais eux, qu’en pensent-ils ? 

Ogre, un Lyonnais qui vit depuis peu sur Paris, est plutôt content de l’idée: « C’est une bonne intention. Cela rend ses lettres de noblesse au graffiti. Ca prouve que le tag est un art et non juste une façon de dégrader. » Ca fait 15 ans qu’Ogre tague sur tout l’espace urbain que les villes lui offrent. Un vrai artiste de rue qui ne trouve pourtant rien à redire quant à la démarche de la Fondation Cartier: « Je trouve l’expo honnête. En laissant les graffers taguer directement sur certains murs, ils ont respecté l’âme du graffiti. » Il reconnaît cependant ne pas encore être entrer à l’intérieur mais se félicite d’avoir un endroit laissé libre pour créer. Le taggeur est donc content de trouver du graffiti dans un musée parisien. Son voisin de mur, un Américain, est du même avis. Dans un accent sentant bon la côte Ouest, il lance un « so cool« , suffisamment explicite. 

 

Des oeuvres commandées par la Fondation Cartier

A l’intérieur, les oeuvres commandées par la fondation Cartier sont exposées au premier étage. Une dizaine d’artistes a répondu à l’appel dont le plus célèbre d’entre eux: Jonone. L’un des précurseurs de la nouvelle vague du graff née dans les années 80. New-Yorkais – comme de nombreuses grandes personnalités du tag – il vit à Paris depuis plus de 20 ans. Pour l’exposition, il a vu les choses en grand, livrant une oeuvre toute en couleur qui n’a rien avoir avec un tag classique. Haute de presque 5 mètres, la toile ne peut être considérée seulement comme une oeuvre d’art. Du coup, son exposition paraît couler de source. Tout comme les autres tableaux de cette première salle, il sera néanmoins détruit à la fin de l’exposition. La visite continue au sous-sol dans une salle bien plus intéressante d’un point de vue historique. 

 

L’histoire est au sous-sol

La pièce est sombre mais une fresque qui prend tout le mur attire directement l’oeil. Des signes chinois, des dessins très pointilleux, un visage détaillé… le graffiti est travaillé. « Cette oeuvre a été faite sur papier (collé sur le mur donc) car l’auteur n’a pas pu se déplacer« , m’explique une hôtesse. « Par contre les deux autres murs ont été taggés directement par Partone et Sen. » De même, le travail, qui s’étend sur plusieurs mètres, semble titanesque pour mon oeil plutôt novice en la matière. 

La visite continue, le regard est happé par tous les objets exposés. Les différentes bombes de peinture, les « black books » – nom donné aux carnets de croquis – graphiquement impressionnants, beaucoup de photos… 

 

Le graffiti reconnu comme un art

Très large, la culture du graff est détaillée. Rien ne semble avoir été laissé de côté. Même si chaque cliché, chaque témoignage rappelle que le tag ne peut vivre que dans la rue, les spectateurs semblent plutôt heureux de trouver toutes ces informations dans un lieu aussi restreint. D’ailleurs, il y a du monde et le public est éclectique. Je m’approche donc de Prune et son amie Simone, deux dames d’une cinquantaine d’années. Pas vraiment le profil des fans de tag. Pourtant, c’est que du bonheur! « Je trouve important que cela soit reconnu comme un art« , commence Simone. Prune enchaîne: « Je n’ai pas un intérêt particulier pour le graffiti mais je trouve cette expo très intéressante. C’est une culture qu’il faut découvrir. » A découvrir oui, mais forcément dans un musée? « Oui. L’exposition raconte l’histoire du mouvement et surtout la démarche de ces artistes. C’est important pour apprécier« , explique Simone. C’est vrai. Les photos montrant les taggers se plier en quatre entre deux wagons de métro sont fortes et illustrent parfaitement la rage et la détermination qui font la force de cet art rebelle. 

 

Ne pas rater « Wild Style » !

Je passe ensuite à la dernière salle du sous-sol. Une projection attire l’attention d’une classe de lycée venue en sortie scolaire. Il s’agit d’un document phare de la culture du graffiti: « Wild style. » Réalisé en 1982 par Charlie Ahearn, il s’agit du premier documentaire sur la culture née dans la rue. Le graffiti bien sûr, mais aussi le break-dance, les prémices du hip-hop… Cette vitalité dévastatrice des jeunes à l’écran fait plaisir à voir. Le prof d’anglais de la classe en visite, est content: « C’est une bonne façon de faire entrer des jeunes dans un musée. Qu’on le veuille ou non, le graffiti fait de toute façon partie de la culture de chacun. » D’accord mais s’il est « né dans la rue« , c’est qu’il y a certainement une raison. Le professeur développe sa pensée: « C’est une culture urbaine et ça le restera. Le tag a d’ailleurs grandi grâce à ce côté interdit. Mais le faire connaître à un public plus large me paraît une excellente initiative. Beaucoup connaissent le mot « tag » mais très peu savent ce qu’il y a derrière. » D’ailleurs, les élèves semblent intéressés par la visite et remplissent avec rapidité le questionnaire donné par le professeur. 

 

En exposant le graffiti, ses oeuvres, ses grands noms, son histoire, son évolution et en laissant un espace de liberté aux taggers parisiens, la Fondation Cartier a donc contenté tout le monde. Né dans les rues New-Yorkaises il y a 40 ans, le graffiti est donc enfin entrer dans les moeurs. Mieux encore, il est aujourd’hui considéré comme un art à part entière. Sa place dans un musée ne peut donc plus être contestée.   

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