« Le meilleur des mondes » au Mudam ou le miroir malade

Au sein de la splendide architecture du Mudam, musée d’art moderne au Luxembourg, l’expression « Le meilleur des mondes » abandonne presque sa connotation sarcastique. Pierre de bourgogne écrue, jardins sages et arbres fruitiers sous des verrières laissant apparaître, soudaines et irréfutables, de sombres forêts enneigées, le Mudam abrite pourtant en son giron superbe quelques centaines d’œuvres dressant une angoissante fresque de notre monde contemporain, ce « meilleur des mondes ». Point prospective, a contrario de l’œuvre à laquelle elle se réfère, l’exposition, cruelle, pense notre monde contemporain au présent, dans toute sa laideur.

Outre un espace d’une exceptionnelle beauté, pensé par Ieoh Ming Pei, le Mudam, jeune musée ouvert en 2006, peut se targuer de déjà posséder une collection prestigieuse. « Le Meilleur des mondes », exposition inspirée de la célèbre dystopie d’Aldous Huxley, présente des pièces majeures de l’art contemporain, organisées autour de quatre chapitres : « De nos territoires », « De nos artifices », « De nos visages », « De nos vies intérieures, de nos rêves et nos cauchemars ». Ecce homo, toutes turpitudes et toutes abjections dehors, servies par ces certitudes définitives qui érigent les funestes dictatures. Ainsi, le bel écrin du Mudam se transmue en mausolée, temple abritant hallucinations machiavéliques et visions infernales. Sous la voûte transparente de verre, entre les parois obliques du musée, éclosent ainsi des fontaines desquelles coule une encre de jais souillant en gouttes impies l’angelot sage (Su-Mei Tse) ou des palmiers pétrifiés par un vernis métallique argentés (David Zink Yi), décor de science-fiction de mauvais augure.

« De nos territoires ». Noirs, multiples et agglutinés tels les insectes de Jan Fabre, qu’avons nous fait de nos territoires si ce n’est des lieux brûlés au pas de nos instincts guerriers en marche ? Et des terres habitables par la pensée, nous avons fait des territoires idéologiques, telle l’œuvre de Claude Lévêque. Élégante dans sa radicalité, cette installation, néons rouges et parallèles au sein d’une salle aussi obscure que les enfers, forme un cadre dont il semble impossible de s’extraire.
« De nos artifices » pointe la déshumanisation des territoires conquis. Des panoramiques d’usine sans âme(s) d’Andreas Gursky à l’exotisme de carte postale des décors de Jean-Luc Vilmouth, les espaces sont saturées d’une présence humaine ne pouvant s’affirmer dans une multitude inhibitrice ou sont désespérément vides, envahis de machines glacées. La chapelle apostate de Wim Delvoye, dont les vitraux figurent tout ce que l’homme a de vil (entrailles, dents, squelettes, etc.) désacralise le territoire ultime : le corps.
« De nos visages (et de nos corps) ». Des visages-masques qui se délitent de Cindy Sherman aux clichés impudiques de Nan Goldin, qu’a t-on fait de ce territoire, à la fois collectif et intime, qu’est le corps ? Des gravures inhumaines à force de beauté, comme les visages lissés des naïades de Roland Fisher ?
« De nos vies intérieures, de nos rêves et de nos cauchemars ». Tandis qu’Antoine Prum tue des critiques d’art à la rhétorique alambiquée en songe, tuant tout haut ce que tout le monde tait tout bas dans un film aux allures jouissives de série B, Izima Kaoru scénographie la mort de personnages qu’elle développe dans de romantiques clichés à l’atmosphère brumeuse.

Eija-Liisa Ahtila, Steve McQueen, Tatiana Trouvé, Damien Deroubaix et tant d’autres artistes majeurs créent quatre chapitres pour un monde en déliquescence. Panorama dialectique de notre univers qui se meurt, voici ce qu’est l’exposition « Le meilleur des mondes », servie par un accrochage clair et pertinent, sans temps mort.

Le meilleur des mondes
Jusqu’au 23 mai 2010
Mudam Luxembourg
3 Park Dräi Eechelen, L-1499 Luxembourg
Heures d’ouverture
De mercredi à vendredi de 11h à 20h. De samedi à lundi de 11h à 18h. Fermé le mardi.
Prix d’entrée : 5€. Réduit : 3€

Crédits photo : Su-Mei Tse, Many spoken words, 2009© Photo : Kenji Ohtani, Contemporary Art Center, Art Tower Mito


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