Danse contemporaine : Sie kommen, la violence des molécules

Quatre danseuses, jeunes, d’égale corpulence, légèrement vêtues. Une scène noire. Un écran blanc. Tout est immobile. Puis, « Sie kommen », ils arrivent…

Le bruit lancinant d’une alarme sourde. Seul mouvement, un corps vidéographique qui s’anime en arrière-plan. Une danseuse, quasi nue, se meut, animale, dans le sable. Seule. Telle une lionne sous le vent, elle se contorsionne, se cambre et rampe sur le sol rocailleux jusqu’à ce que l’image fonde. Les quatre danseuses sur scène s’organisent alors en mouvements symbiotiques. Tel un organisme, elles sont les molécules d’une même forme, se cherchant, se poussant, s’enlaçant, se convulsant en tous sens pour s’intégrer les unes aux autres, structure vivante en perpétuelle restructuration, agile et précise, métaphore de la mémoire collective en formation. En effet, « Sie kommen », de Louise Vanneste, s’inspire des photographies éponymes d’Helmut Newton, clichés faisant eux-mêmes référence au roman de l’auteur allemand Paul Carell, «Sie kommen» (ils arrivent, en français) narrant la libération de la France par les alliés. Les alliés débarquent et le travail de la mémoire collective peut alors commencer…
La musique électronique sourd toujours, basse et déchirante. Parfois les corps se figent, prenant les positions stéréotypées et érotisées des modèles d’ Helmut Newton. Lascives, hautaines, les gorges rejetées en arrière, les reins soulevés et le regard froid, les quatre femmes deviennent statues du désir. Mains sur les hanches, se chevauchant l’une l’autre, fières cavalières, elles toisent le public. Puis, elles reprennent leur danse commune, se tirant, s’attirant, se retirant avec une précision peu naturelle qui glace. À la fois sibériennes et sensuelles, les gestes stricts et forcés, ces quatre femmes s’agitent et souffrent, montrant par un érotisme contraint la force de la violence qui les soumet.
Quand l’une d’entre elles est seule, elle entre en transe, épileptique, hystérique, démembrée, jusqu’à ce qu’une autre vienne la prendre dans ses bras. L’organisme se reforme alors, semblant pouvoir  canaliser une catharsis trop violente. Puis, les quatre danseuses se figent et la projection vidéo se ranime. Noir et blanc. Un lent travelling révèle les recoins d’une maison hantée par des corps immobiles. Des femmes habillées de noir, élégantes gravures de mode, habitent l’espace. De dos ou le visage caché, ces femmes sont des stéréotypes qui attendent. L’illusoire inertie est parfois troublée par un geste lent qui crie en silence les souffrances. Une femme, la tête baissée, soumise, relève lentement sa jupe noire, jusqu’à découvrir le haut de ses cuisses. Dans une autre pièce, un groupe de femmes encerclent une des leurs, en transe, pour une scène de tarentelle échevelée.
« Sie kommen », quand le collectif s’écrit et s’éreinte.

Sie Kommen
De Louise Vanneste
Dans le cadre du festival On y danse (jusqu’au 19 février 2010)
Centre Wallonie-Bruxelles

Crédits photo : ©Stéphane Broc


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