Guizmo, le Gainsbourg du Ghetto

Ses obsessions : Musique, Drogue, Meufs & Alcool.

Une prod explosive pleine de surprises. Une plume tantôt incisive tantôt introspective. Un flow suave et fluide sur lequel plane l’ombre des nineties, sur lequel surfent des lyrics acerbes, sur lequel rebondissent des punchlines aussi poilantes que piquantes, sur lequel s’imprime un verbe parfois futile, souvent subtile. C’est le son unique de Guizmo que l’on retrouve sur son nouvel opus C’est Tout. Ce jeune MC du 92 incarne la relève du Rap français, celle a qui a su se passer des maisons de disques pour trouver son propre public en inondant Youtube de vidéo artisanales et en traînant ses savates dans les open-mic’.

Guizmo impose son style – inclassable et inimitable – sur la nouvelle scène du Rap français. A mi-chemin entre New School et Old School, il trace sa propre route dans le pe-ra avec pour boussole le son de ses mentors (A Tribe Called Quest, 2Pac, Dany Dan, Salif, Sir Doum’s), mais aussi la vie… plus cruelle que belle. La sienne, hantée par la musique, les meufs, l’alcool et le cannabis, lui a laissé des cicatrices. Des plaies profondes qui se rouvrent ponctuellement pour laisser filer un fluide créateur.

A seulement 22 ans, le jeune MC de Villeneuve-la-Garenne ne traîne pas ses souvenirs comme des casseroles. Il les assume. Son escale en prison, sa passion pour la weed et la tise, tous ses remords viennent aujourd’hui nourrir sa verve lyricale. Parfois ordurière mais toujours sincère. Si Guiz’ aime clasher ses ennemis, vanter ses coucheries, louer ses beuveries, il aime surtout sonder les profondeurs de son âme et pointer avec ses mots les maux qui pourrissent les entrailles des cités franciliennes.

Rencontre avec un rappeur hors-norme dont les immenses yeux de Gremlins cerclés d’une paire de lunettes lui ont valu le blaze de Guizmo. Le MC de « La Caravelle » nous reçoit dans son appart du XVIIIe arrondissement, une binouse dans une main, un blunt dans l’autre…

Guizmo

Guizmo

Depuis l’âge de six ans… Jusqu’aux rap contenders

Dans le morceau « Hip Hop », Guizmo revient sur ses « premiers souvenirs de pe-ra » : le Secteur Ä et Ménélik qu’il découvre via sa mère, IAM, Lunatic et Oxmo Puccino qu’il écoute avec son frère, puis Nubi, Ol’Kainry et Chien de Paille qu’il entend sur les ondes. A l’aube des années 2010, la rencontre du chanteur de Villeneuve avec le collectif L’Entourage lui ouvre de nouveaux horizons musicaux : « On faisait du son plus qu’on écoutait du rap. Souvent, on écoutait des grosses instru’ et des beatmakers », explique-t-il. Ces influences multiples – le rap, mais aussi la pop de Michael Jackson, la soul d’Aretha Franklin, le jazz de Ray Charles – infusent l’ensemble de son œuvre… Une œuvre aussi dense que la fumée qui s’échappe de ses bedos.

C’est avec ses potes de L’Entourage que Guiz’ participe aux battles de Rap Contenders en 2011. Le Gremlins du 92 crée le buzz sur Youtube en assommant son adversaire d’une punch aussi foudroyante qu’hilarante : « Pour info, des fois j’lui bouffe la chneck, j’lui mets ma bite dans le trou. T’es pas content ? J’te coupe la tête, puis j’te chie dans le cou ». Trash ? Oui. Violent ? Aussi. Mais c’est surtout le clin d’œil d’un cinéphile au film de Kubrick Full Metal Jacket… Et le tremplin d’une future carrière dans le pe-ra. « C’est une phrase incisive et grossière. Mais, c’est plus marrant que crado comme phrase », explique Guizmo avant d’insister sur la dimension catharsistique des Rap contenders… Clashs auxquels il doit son succès, mais qu’il ne renouvellera pas : « Je ne le referai pas, car aujourd’hui, je vends des CD. J’ai trop d’orgueil. Je n’ai pas envie de perdre.»

Normal, La Banquise… C’est tout ?

« Quand j’ai sorti mon premier album [Normal, 2011], j’étais encore avec L’Entourage. » Puis vient la séparation… brutale et définitive. Le 26 janvier 2012, un communiqué laconique annonce le départ de Guizmo sur le compte Facebook du collectif de Rap. La raison évoquée : de « différents choix artistiques effectués par Guizmo, incompatibles avec l’avancée de L’Entourage ». C’est une autre version que nous révèle le MC du 92 : « A l’époque de Normal, j’ai rencontré Willy L’Barge et Yonea [de Zone Sensible]. On a fait l’album [La Banquise, 2012] super vite. Je pense que c’est l’une des raisons de mon départ de L’Entourage. J’ai un peu délaissé le crew », avoue-t-il sans laisser poindre le moindre remord.

Six mois après La Banquise, Guizmo sort son troisième opus, C’est Tout, sur lequel les morceaux introspectifs souvent sombres (« C’est Tout » ou « Insomniak ») côtoient les chansons plus délirantes (« MDMA » ou « Laetitia »). Pourquoi un tel intitulé ? « C’est tout pour moi. C’est un condensé de mes six derniers mois. Et j’ai tout dit… ou presque. C’est aussi un délire un peu présomptueux. C’est tout… Parce qu’après moi, c’est le désert » ironise Guiz’.

La vie et la mort comme sources d’inspiration

« La vie en elle-même m’inspire. Tout m’inspire. Aller prendre le métro, rencontrer untel. Je n’ai pas de thèmes favoris. C’est vrai, je parle beaucoup de shit et d’alcool. Mais, dans l’absolu, je parle de pleins d’autres trucs… des trucs de la vie de tous les jours », raconte le MC. Et d’illustrer ses propos avec l’une des chansons de son dernier opus, « Le Café », dans laquelle Guizmo brosse avec une plume trempée dans l’émotion brute un lieu central, parfois fatal, le PMU du coin de la rue, dans lequel des hommes accros au jeu viennent sacrifier leurs journées : « Le Café, c’est un pote qui me l’a inspiré. Il s’appelle Jef, il est accro au PMU ».

Si la vie l’inspire, la mort, elle, l’obsède. Fataliste, Guizmo ne cesse de prophétiser sa fin. Dans « C’est Tout », morceau autobiographique de 7’30″ qui vient clore l’album, il clame : « Mais, je m’arrêterai pas de sitôt. Je boirai quatre fois plus. Quand on m’annoncera un cancer. Et que j’aurais perdu 15 kilos. C’est peut-être mon destin. Mais c’est ma trace. C’est crever vite. » Pourquoi un tel fatalisme ? « J’ai peur de mourir, avoue Guizmo. J’ai peur de ce qui va m’arriver après la mort. Et je sais que mon mode de vie m’y conduit plus vite que si je ne fumais pas, que si je ne m’autodétruisais pas. Je me rend compte que je me fais du mal et que ça peut causer ma perte ».

L’alcool, la clope, les femmes, une chanson intitulée « Laetitia »… Ce sont des points communs que Guiz’ partage avec un autre artiste. Guizmo est-il le Gainsbourg du Ghetto ? « Je ne sais pas. C’est aux gens de le dire. C’est un personnage mythique. Un artiste entier. Il était paradoxal. Je sais que je le suis de temps en temps » explique-t-il. La preuve : le morceau « Entre dans mon monde » dans lequel Lamine Diakité évoque sa schizophrénie face au succès en apostrophant son double artistique, provocateur et alcoolisé, Guizmo, évoquant le dialogue entre Gainsbourg et Gainsbarre.


« »

© 2024 Planete Campus. Tous droits réservés