Fayçal Baghriche : «Quelque chose plutôt que rien»

La Force de l’Art 02 s’est achevée il y a quelques mois, le succès escompté n’étant pas au rendez-vous. Dans un contexte difficile, il nous a semblé important de nous interroger sur l’état des structures et des soutiens dont disposent les artistes contemporains en France. Nous avons interviewé l’artiste contemporain Fayçal Baghriche qui a participé à la seconde édition de La Force de l’Art. En outre, cet artiste est commissaire pour la structure curatoriale Le Commissariat et fondateur de l’association L’Entreprise Culturelle, en charge de la résidence d’artiste La Villa du Lavoir. Sa future exposition personnelle « Quelque chose plutôt que rien » résume assez bien la position pragmatique et plutôt optimiste de Fayçal Baghriche sur ce sujet.

Qu’avez-vous pensé de la seconde édition de La Force de l’Art ?
Cette édition fut surtout bénéfique aux jeunes artistes comme Dominique Blais, Virginie Yassef, Julien Prévieux ou moi-même. Elle nous a offert une visibilité plus importante et a permis de faire découvrir notre travail à un large public. En ce qui concerne les artistes plus reconnus, j’ignore si cet événement a vraiment été bénéfique pour eux. Il s’agit d’une manifestation de plus à leur actif, mais qui n’apporte pas grand chose à leur travail. Plusieurs pièces m’ont semblé assez mal accrochées comme celles d’Anita Molinero ou de Michel Blazy par exemple. Il y a eu très peu de production de pièces, la plupart des pièces présentées dans cette édition existant déjà. Je ne pense pas qu’il faille attendre grand chose de ce genre d’événement. Les contraintes sont tellement grandes qu’il est difficile aux commissaires d’obtenir exactement ce qu’ils attendent. Le montage de l’événement est une somme de négociations et de concessions. Les artistes n’échappent pas à cette règle. En somme c’est une grosse machine à gaz qui sert avant tout des intérêts politiques. Une fois cet état des lieux posé, il s’agit pour ceux qui y participent d’y trouver leur intérêt propre.

Avez-vous visité la première édition ?
Non car je n’étais pas très souvent sur Paris à ce moment-là mais je dois avouer que si je n’avais pas participé en tant qu’artiste à la seconde édition, je n’y serais probablement pas allé.

En tant que commissaire, que pensez-vous de la politique curatoriale de la seconde édition de La Force de l’Art (nombre d’artistes exposés, thématique, etc.) ?
Je trouve le nombre d’artistes exposés assez juste. Mais cela permettait d’avoir des espaces assez différents et de tout voir en une visite. À relever : le manque de femmes dans cette édition. Mais comme dans de nombreuses expositions en France. Il s’agit là d’un problème d’ordre plus général qui atteste que les commissaires français ne prennent pas en compte ce critère dans la sélection des artistes. Je ne suis pas pour la parité dans les expositions; on choisit de montrer des travaux selon leur pertinence et non selon le sexe de l’auteur. Mais des oublis aussi manifestes ne peuvent être assimilés qu’à du dédain. Tout comme l’oubli de prévoir dans le budget global une rémunération pour les artistes qui participent à l’événement.

En tant qu’artiste contemporain travaillant en France, comment qualifierez-vous la politique du Ministère de la Culture à l’égard de l’art contemporain (soutien à la production et à la diffusion) ?
Il est rare que je fasse des demandes de bourses ou des demandes de résidences. Je n’attends pas d’aide particulière du ministère. Je sais que de nombreuses personnes compétentes et motivées travaillent afin d’offrir les moyens aux artistes de poursuivre leur travail. Mais il y a aussi des subventions qui sont diminuées et des lieux qui ferment. Mais on ne peut pas attendre d’un ministère de droite de mener une politique culturelle de gauche et vice-versa.

Avez-vous reçu un soutien de la part du Ministère de la Culture pour votre œuvre Souvenir présentée à La Force de l’Art 02?
La réalisation du globe fût possible grâce à un soutien financier privé. La Force de l’Art a pris en charge la réalisation de la peinture murale.

Vous avez reçu une formation à la Villa Arson (établissement artistique sous l’égide du Ministère de la Culture), estimez-vous que le pari de l’ouverture sur l’international est gagné ?
Tout dépend de la manière dont en entend le terme « ouverture sur l’international ». À la Villa Arson, de nombreux étudiants viennent de l’étranger. C’est aussi un centre d’art et une résidence qui reçoit dans l’année de nombreux intervenants et des jeunes artistes venant effectivement des quatre coins de la planète. Si par « ouverture sur l’international », on entend exportation de l’art français, je ne pense pas que le pari soit vraiment gagné. Pas seulement en ce qui concerne la Villa Arson, mais pour l’art français de manière générale. De plus, l’ « international » aujourd’hui ne se borne plus seulement au reste de l’Europe et aux Etats-Unis.

Comment est née l’idée du Commissariat ?
L’idée du Commissariat est née de Vincent Ganivet, Matthieu Clainchard et moi-même de créer une structure nous permettant de donner un statut juridique à une coopération qui existait déjà entre-nous. Nous avions des affinités et apprécions nos travaux respectifs ainsi que ceux d’autres artistes de notre génération. Il s’agissait à un moment donné de notre parcours de s’offrir les moyens de montrer notre travail car personne ne s’intéressait vraiment à nous. Donc nous avons commencé par organiser de petits événements pour lesquels nous invitions d’autres amis : il y a eu « la lutte finale », « Even Clean Hands leave marks and damage surfaces » et « ITANOMTHUB ». Des expositions dont nous étions les commissaires et les artistes. Avec la rencontre de Dorothée Dupuis, nous avons officialisé cette coopération et sommes passés à un rythme beaucoup plus soutenu. Notre arrivée coïncidait avec la fermeture de jeunes structures parisiennes : Public fermait ses portes, Glassbox aussi, Béton Salon n’avait plus de lieu. C’était le moment de faire exister quelque chose à Paris qui soit géré par des artistes et qui permette aux jeunes de montrer leur travail. Nous avons donc endossé la casquette de commissaire et avons cessé de monter nos propres travaux dans les expositions que nous organisions. Il était important de privilégier nos goûts plutôt que de faire la promotion de notre travail. Ce fût un moment riche et intense, mais depuis quelques temps, nous sommes tous pris par nos activités. Damien Airault nous a rejoint, et c’est lui qui se charge de la plus grande partie du travail avec l’aide de Dorothée Dupuis et, épisodiquement, la nôtre.

Quels moyens mettez-vous en œuvre, au sein de L’Entreprise Culturelle et en particulier à La Villa du Lavoir, pour la production et la diffusion des artistes sélectionnés ? Obtenez-vous des subventions ?
La Villa du Lavoir est un lieu que nous avons créé à partir d’un lieu inutilisé qui appartenait à la mairie. Avec son accord, nous avons démarré une activité d’atelier et de résidences d’artistes. Le lieu est totalement autonome, nous ne demandons aucune aide, et ne proposons aucun budget de production aux artistes qui viennent en résidence. Il s’agit avant tout d’offrir un cadre de travail temporaire à des artistes qui doivent intervenir sur Paris dans le cadre d’une exposition ou autre. C’est un lieu qui ne fait pas de communication. Nous avons tellement de demandes que nous laissons fonctionner le bouche à oreille. Ce qui est intéressant dans ce lieu est que les fondateurs ne sont pas tous artistes et que différentes pratiques se croisent.

L’œuvre que vous avez présentée à La Force de l’Art 02 (un globe terrestre tourne si rapidement sur lui-même que rien n’y est visible. Au mur, bleu, les différentes icônes des drapeaux nationaux sont figurées, mais mélangées entre elles, sans frontières) est une installation poétique sur l’utopie d’un abolissement des frontières : géographiques, raciales, peut-être même langagières. Elle s’appelle « Souvenir ». Est-ce parce que vous pensez que les nationalismes se sont exacerbés ?
L’œuvre que j’ai présentée à La Force de l’Art s’appelle « Souvenir » car dans le futur, le monde que nous connaissons, caractérisé par la vitesse, aura disparu. L’œuvre restera alors comme le « souvenir » d’une époque de frénésie. Le titre se réfère aussi aux souvenirs que l’on ramène avec soi après un voyage; des babioles sans importance qui nous rappellent le lieu par lequel nous sommes passés. L’œuvre par son titre se réfère également à l’enfance et à la fascination qu’exerçait sur nous le globe terrestre.
Cette œuvre veut replacer la Terre dans un contexte qui lui est plus large, et en somme la rendre plus humble. Une toupie dans l’immensité de l’univers. Je m’intéresse beaucoup aux schémas de vulgarisation scientifique, et cette œuvre pourrait être également un modèle qui servirait à discourir sur la relativité du temps. En regardant l’œuvre tourner devant nous, nous sommes soudain projetés dans une autre temporalité que celle de l’œuvre. Une minute de notre temps correspond à un an à l’échelle de l’œuvre.
Je préfère m’attarder sur ce genre de lecture, plutôt que de parler de nationalismes, ou plutôt de post-nationalisme, bien qu’effectivement, l’œuvre aborde ces questions-là de manière peut-être tellement évidente qu’il m’est difficile d’en rajouter. Mais elle l’aborde plutôt sous l’aspect du robot mixeur dans lequel les ingrédients se mélangent indéniablement.

Quel est votre futur projet en tant qu’artiste ?
Je participe à plusieurs expositions collectives durant les prochains mois, mais ce qui me prends le plus de temps en ce moment est une exposition personnelle au Centre d’Art Contemporain « Le Quartier » à Quimper. Le vernissage aura lieu le 30 janvier et l’exposition
durera jusqu’à mi-mars. Le titre : « Quelque chose plutôt que rien ».


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