Angoulême et Twitter : femmes, images et sexisme ordinaire

Plusieurs évènements des derniers jours ont interpellés les réseaux sociaux sur la question du sexisme et des images.

Premier évènement : une nouvelle campagne de harcèlement sur Twitter le 3 janvier dernier. Plusieurs comptes ont posté des photos intimes d’une jeune fille, prises et publiées sans son accord et qui sont très vite devenues virales. A cela sont venus s’ajouter des insultes et de nombreux commentaires haineux. Malgré l’illégalité totale de ces photos (d’autant plus que la victime est mineure), son nom est resté visible plusieurs heures dans les hashtags les plus populaire. En réaction, un collectif féministe a créé le hashtag #TwitterAgainstWomen pour dénoncer le manque de réactivité du réseau social face à ces images pouvant ruiner une vie voire pousser au suicide comme l’ont montré de nombreux cas semblables, comme celui tristement célèbre d’Amanda Todd.

Si la jeune fille a été l’objet d’insultes et de moqueries sur les réseaux sociaux, son partenaire présent également sur la photo a inspiré beaucoup moins de réactions.  Parmi les insultes les plus utilisées on retrouve « pute », « salope », la renvoyant toutes à son genre. De plus, les internautes relayant cette image semblent considérer que son image ne lui appartient pas complètement : la diffuser sans son accord relève pour eux du jeu plus que de l’atteinte au droit à l’image.

Second évènement, relativement semblable au premier : la vidéo du viol d’une autre jeune femme est diffusée sur Facebook, qui, là encore, prend son temps pour la supprimer. Si deux hommes ont été mis en examen le 5 janvier, on assiste encore une fois à une diffusion très rapide de la vidéos, à des réactions insultantes, et cette jeune fille voit son image lui échapper complètement.

Et enfin troisième évènement qui a fait parler de lui : le Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême rend publique la liste des auteurs nominés pour son Grand Prix. Ce prix extrêmement prestigieux récompense un auteur sur l’ensemble de son œuvre : il a été décerné l’an dernier à Katsuhiro Otomo, pilier de la BD japonaise, et l’année précédente à Bill Watterson, le créateur de Calvin et Hobbes. Surprise : alors que la liste fait une trentaine de noms, aucune femme n’a été jugée suffisamment importante pour figurer parmi les grands noms du neuvième art. Ce ne sont pourtant pas les auteures importantes qui manquent, de Marjane Satrapi à Claire Brétcher. Surtout qu’en 32 ans d’existence, une seule femme l’a reçu, Florence Cestac.

Il est intéressant de constater qu’alors que des images intimes de jeunes filles circulent sans leur accord, les femmes sont dans le même temps tenues à l’écart des métiers de production de l’image comme la bande dessinée. Car le Grand Prix d’Angoulême est une formidable mise en avant pour un auteur, un très important regain de visibilité. Mais tandis que des images représentant des femmes, même lorsqu’elles n’étaient pas censées être diffusées, sont considérées par certains comme en libre-service, celles produites par des femmes et qui ne demandent qu’à être plus connues sont écartées du devant de la scène.

De nombreuses études ont montré l’importance des images le fonctionnement de la société ; en effet, c’est en partie en s’identifiant aux représentations disponibles que les individus construisent leur personnalité. Or, si les seules images des femmes disponibles sont conçues par des hommes, ou prises à des femmes contre leur gré, que cela laisse-t-il comme modèles sur lesquels se construire ?


« »

© 2024 Planete Campus. Tous droits réservés