Hollande et Merkel : rassemblés pour le Traité de l’Elysée… mais divisés

Il y a cinquante ans, le 22 janvier 1963, le chancelier allemand Konrad Adenauer et le président français Charles de Gaulle scellaient le Traité de l’Elysée. Un premier pas vers la réconciliation de la France et l’Allemagne. Ces vieux ennemis qui, liés par une haine viscérale, avaient sacrifié leurs enfants par centaines de milliers sur l’autel de la Guerre : 1870, 1914-1918, 1939-1945. Aujourd’hui, les deux chefs d’Etat européens, Angela Merkel et François Hollande oublient leurs désaccords pour fêter ensemble les noces d’or du couple franco-allemand. Mais derrière la célébration, se cachent des dissensions.

Aujourd’hui, mardi 22 janvier 2013, les leaders français et allemands se réunissent dans la capitale de l’Allemagne, Berlin, pour célébrer les cinquante ans du Traité de l’Elysée qui marque les débuts de la réconciliation entre les deux nations européennes. Pour l’occasion, le président de la République, François Hollande, le Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, une quinzaine de ministres et un peu moins de 500 parlementaires passent de l’autre côté du Rhin. Un événement « historique » qui se déroule au moment où la crise – économique, sociale mais aussi politique – de l’Union européenne semble distendre les liens qui unissaient jadis Paris et Berlin.

Si le couple franco-allemand bat de l’aile depuis quelques années, il reste un couple uni dans l’adversité. Et aujourd’hui, la chancelière allemande Merkel et le président français Hollande, ont voulu renforcer les liens entre leurs deux pays en s’embrassant devant les caméras et surtout, en minimisant leurs oppositions sur l’intervention au Mali et les questions économiques. Et ils y sont parvenus lundi soir.

Réunis lors d’un débat d’une heure et demie retransmis par la chaîne Arte, les deux chefs européens ont loué les vertus de l’amitié franco-allemande. Mme Merkel a fait un pas prudent vers M. Hollande en n’excluant pas d’aider plus activement la France dans son opération militaire au Mali contre les milices islamistes. De son côté, le chef d’Etat français s’est félicité du « soutien immédiat [mais peu visible] » de l’Allemagne et de l’Europe.

Pour répondre aux craintes que nourrissent les Allemands de voir la France s’enliser dans la crise économique, François Hollande a concédé que son pays avait « un problème de compétitivité ». « L’Allemagne a fait des efforts », tandis que la France « a perdu du temps », a-t-il poursuivi en expliquant vouloir sincèrement « rattraper l’Allemagne ». Ravie de voir le chef d’Etat socialiste prendre enfin ses responsabilités, Angela Merkel a convenu qu’il n’existait pas un seul modèle de développement économique… la tant décriée rigueur.

Que de belles déclarations ! Mais pour reprendre le proverbe : « il n’y pas d’amour sans preuves d’amour ».

Les noces d’or du couple franco-allemand : un mariage de raison ?

Pour bien des observateurs, l’union franco-allemande a perdu sa flamme. Et ce ne sont certainement pas le socialiste M. Hollande et la conservatrice Mme Merkel qui la rallumeront…

La caricature du dessinateur allemand de la Süddeutsche Zeitung qui fait aujourd’hui la Une du Monde est révélatrice. Il représente les illustres signataires du Traité de l’Elysée, De Gaulle et Adenauer, et en-dessous, comme écrasés par leurs aînés, les silhouettes ramassées de Hollande et Merkel. Pour le quotidien, « la relation politique au plus haut niveau entre les deux nations est médiocre. La France, déclassée économiquement par rapport à son voisin, a moins de force d’entraînement. Et l’Allemagne a développé un modèle qui fait son succès mais n’assure pas la stabilité du continent à long terme ».

Pour Libération, Paris-Berlin est « un couple sans passion ». Point de vue que partage le journal les Echos : « Ce qui manque à la relation franco-allemande, c’est la flamme et le souffle (…). La France et l’Allemagne ont besoin de dire à leurs opinions quel est le ‘but’ poursuivi, pour leur couple, mais aussi pour l’Europe entière ». Le problème réside donc dans l’absence d’objectif commun… A moins qu’il ne se situe au niveau des méthodes utilisées pour atteindre cet objectif en question.

C’est ce que pense le quotidien Sud-Ouest qui oppose métaphoriquement la « fourmi allemande » et la « cigale française » : « Entre Berlin qui s’arcboute sur la rigueur et Paris qui défend les acquis sociaux, entre la fourmi allemande qui épargne et qui exporte et la cigale française qui dépense et craint la mondialisation, l’incompréhension gagne. »

Une vision un peu simpliste… qui n’est pas celle de L’Humanité : « Près de huit millions de salariés allemands ne disposent que de 270 euros par mois (…). Des systèmes sanitaires, de protection sociale, de retraite qui eurent leurs qualités, aujourd’hui sinistrés (…). Et c’est sur cette pente que la France, après avoir chassé Nicolas Sarkozy, devrait s’engager à son tour ? », questionne le journal communiste.

Derrière la Germanophobie, la jalousie ?

Bien des Français reprennent à leur compte les arguments couchés ce matin dans les colonnes de L’Humanité. Pour exprimer leur hostilité au modèle allemand ? Ou simplement pour se rassurer ? Quoiqu’il en soit, une brise de Germanophobie semble percer dans le ciel ombré de l’Hexagone.

Des Français s’insurgent contre l’impérialisme économique allemand qui nargue de sa balance commerciale positive les dettes colossales de la France. Ils disent préférer la croissance à l’austérité. Et pour masquer l’extraordinaire succès du voisin d’Outre-Rhin sur le front de l’emploi, ils mettent en lumière les jobs mal-payés, l’accroissement des écarts socio-économiques et de la précarité. Bien des Français se plaisent aussi à pointer sournoisement la faible croissance démographique de Berlin.

Dans Le Point, Hervé Gattegno, explique que derrière les symboles d’unité – les noces d’or du couple franco-allemand aujourd’hui –, les dissensions sont nombreuses entre les deux « parents » de l’Union européenne, la France et l’Allemagne : « Quoi qu’en disent les beaux esprits, le fossé se creuse entre les deux pays. Les succès économiques de l’Allemagne se font aux dépens de la France (c’est notre déficit commercial avec l’Allemagne qui plombe nos résultats). » La Germanophobie ambiante serait due en partie au sentiment de jalousie de la France ?

Il poursuit : « L’Allemagne doute toujours de la sincérité de nos efforts budgétaires (et on ne fait pas tout pour la rassurer). Et par-dessus tout, nos deux pays se sentent toujours en compétition – et c’est bien aujourd’hui l’Allemagne qui domine l’Europe et de loin. » Triste constat pour les fiers Gaulois !

La conclusion de M. Gattegno est bien pessimiste mais réaliste : « Le couple franco-allemand est de moins en moins bien assorti. Et pendant qu’il fait semblant de fêter ses noces d’or, c’est l’Europe qui dort pour de vrai ». Avec sous son oreiller, le prix Nobel de la Paix, et dans ses rêves, les souvenirs glorieux de sa construction.

Crédit photo : Reuters


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