[INTERVIEW] Françoise : « J’assume ma couleur de peau foncée et mes cheveux crépus ! »

Crèmes dépigmentant la peau, défrisages, lentilles de couleurs claires,… Bref ! Une multitude d’artifices qu’utilisent bon nombre de femmes à la peau brune ou aux cheveux crépus, notamment originaires des continents africain et asiatique pour « se rendre belles ». Se posent alors de nombreuses questions. Qu’est-ce que la beauté? Avoir des cheveux lisses ? Une peau claire ? Des yeux clairs ? N’assisterions-nous pas à un phénomène d’occidentalisation des critères de beauté tant dans les pratiques, les produits de beauté, que dans le monde de la publicité ? En effet, peu de marques proposent à ces autres types de beauté des produits adaptés à leur carnation ou à leurs cheveux. 

Mais en fait, d’où viennent ces cultes de la « beauté occidentale », « de la blancheur », « du cheveu lisse » que l’on retrouve encore dans certains pays d’Afrique ou d’Asie ? 

Pour comprendre cela, il faut nécessairement remonter à l’époque des empires coloniaux. En effet, vous pourrez constater que les pays où ces pratiques existent encore sont des anciennes colonies. On peut citer le Maroc, l’Inde, ou encore la République démocratique du Congo. Encore aujourd’hui, l’on peut retrouver dans ces pays des « crèmes décapantes ». En se promenant dans les souks ou boutiques marocaines, les crèmes « Shirley » peuvent être présentes dans les étalages. 

En France, des jeunes filles congolaises, algériennes, ou tunisiennes, se font belles avant d’aller à un mariage. Leurs gestes seront, pour la plupart du temps, de mettre un tissage (cheveux synthétiques ou naturels apposés sur la tête et occultant la vraie chevelure), ou lisser leurs cheveux à l’aide de plaques. Un phénomène bien actuel, donc. A l’ère des empires coloniaux, la distinction des peuples colonisés par leurs couleurs de peaux étaient, bel et bien, une stratégie de domination. La plus connue de toutes, celle effectuée en Algérie durant les 132 années de colonisation. L’armée française établissait une distinction entre Kabyles et le reste des Algériens. Les Kabyles, étant d’origine berbère, avaient, généralement, la peau plus claire. Ils étaient donc beaucoup plus privilégiés dans des postes clefs d’administration. Ce qui créait une division au sein même des Algériens. Ces stratégies, de base politique, sont pourtant de nos jours persistantes. Récemment, l’on a pu constater des actes de racisme par des Marocains, Algériens, Tunisiens ou encore Libyens, à l’encontre de migrants et réfugiés provenant d’Afrique subsaharienne.

Quand stratégie politique et critères de beauté s’entremêlent… Notre interviewée l’a bien compris. Cette beauté occidentale qui « surplombe » toutes les autres beautés n’est que le résultat de politiques.

Françoise, âgée de 24 ans, étudiante en Science politique à Nanterre, nous parle de son choix de ne pas céder à ces tentations. Cheveux crépus et peau foncée, elle assume sa beauté qui lui vient de la Guadeloupe.

Rencontre.

 

Quelle est ta définition de la beauté ?

(Sourire) Une définition de la beauté ? La beauté est une construction sociale subjective qui fluctue en fonction des élites, des pays et des époques. En effet, la définition de la beauté varie en fonction des trajectoires sociales des individus. De plus, elles sont influencées par de nombreux facteurs tels que l’histoire, l’économie et la culture. J’affirmerais que la beauté touche toutes les femmes qui s’aiment.

 

Quels produits de beauté utilises-tu ? Où les achètes-tu ?

J’utilise des crèmes hydratantes pour le corps, des déodorants et des sticks pour les aisselles. Pour le vissage, la liste est longue… J’hydrate et je protège mon visage avec des crèmes. J’utilise des crayons (noir et marron), du mascara, du rouge à lèvres et pour les sorties exceptionnelles du fond de teint. J’aime consommer les produits  « Black for Ever ».

 

 

Penses-tu que les commerces pensent assez aux femmes à la peau foncée ?

Je ne pourrais pas dire s’ils pensent à toutes les femmes et aux hommes qui ont des peaux foncées. (On oublie ces hommes qui utilisent des produits de beauté). Il ne faut pas oublier qu’il existe des teints et des grains de cheveux différents, auxquels il faut associer des gestes de beautés spécifiques à chacun. Dans de grandes villes où règnent de fortes communautés « black », on observe l’implantation d’enseignes qui nous proposent des produits de qualité qui respectent la faune et l’environnement.

 

 

A quelle femme t’identifies-tu ?

(Sourire) A ma mère ! J’espère être une femme pleine de vie, aussi charmante et ravissante à son âge. As-tu déjà été complexée par ta couleur de peau, tes cheveux ? Si oui, raconte-nous ton expérience. Oui, j’ai déjà été complexée par ma couleur de peau et mon grain de cheveux. Je souhaite partager cette expérience douloureuse pour aider, avec mes propres ressources, ces jeunes filles en quête de « beauté ». J’avais 14 ans environ, j’étais en classe de3ème. A cet âge, on commence à découvrir son corps, on observe ceux des autres et on se pose de nombreuses questions. Je voulais des cheveux ondulés et une peau claire proche de celle des chabines (terme utilisé en créole pour désigner une fille métisse.) Je détestais mon corps… Pour moi, la beauté était assimilée aux Brésiliennes, ces femmes détenant des formes, une peau claire et des cheveux longs et ondulés. Cette vision est liée à l’histoire de la Guadeloupe. Peut-être me reprocherez-vous ma vision Durkheimmienne, mais je ne cesse de le crier haut et fort que certains faits sont liés à son histoire douloureuse. La blancheur était assimilée à la beauté, à la réussite et à l’intelligence.  Aujourd’hui les choses « changent ». Cependant, dans cette ère post-coloniale, il existe toujours des chaînes dans les mentalités antillaises. Cette interview me rappelle fortement un séminaire « Etudes coloniale et post-coloniale » qui nous invitait à découvrir les constructions sociales liées à l’orientalisme. Ce petit détour historique qui peut être frappé de réductionnisme était indispensable pour comprendre cette Françoise de 14ans. En effet, j’étais en quête d’identité, à un âge vulnérable dans une société post-coloniale. A ce moment précis, vous devez vous demander s’il y a eu un évènement qui illumina cette époque sombre. Je pense que tout commença par les études supérieures. Au sein de ma filière, on observe cette société sous différents angles qui nous permet d’étudier les constructions sociales. Puis, cette phase a dû passer du fait de mes nombreux voyages. En quittant mon île, je me suis rendue compte que certains critères qui nous semblaient indispensables sont si futiles ailleurs. Je regrette juste d’être sortie de l’ignorance aussi tard. Comme vous l’aurez compris, j’ai changé. J’assume ma couleur de peau foncée et mes cheveux crépus.

 

Les publicités et les égéries représentent souvent des femmes blanches. Parviens-tu à t’identifier à elles ?

Franchement, je ne cherche même pas à m’identifier à elles. On a des courbes, des formes, des hanches que l’on assume pleinement. Il est vrai que j’ai tendance à être victime des enseignes qui prennent la peine de prendre des mannequins détenant une peau foncée et un grain de cheveux non-modifié.

 

Que penses-tu du fait que Dior ait, pour la première fois, pris une égérie à la peau foncée que l’an dernier, en 2015 (Rihanna) ?

Certains affirmeront que les choses commencent à évoluer. A mon avis, c’est une pure stratégie commerciale.

 

Défrisage, dépigmentation de la peau, etc. sont des choses de plus en plus répandues. Quelle est la situation en Guadeloupe ?

Je pense pouvoir donner mon point de vue sur le défrisage qui est plus répandu. De nombreuses femmes ont été touchées par cette « nécessité » de défrisage qui était assimilée à la beauté et à un gain de temps. Les hommes préfèrent les femmes aux cheveux défrisés, ils ont moins de risque de voir leurs doigts restés coincés dans cette chevelure d’or. (Rires)

 

Qu’en est-il pour toi ? Utilises-tu des produits éclaircissants ? Défrisages ?

Je ne toucherai jamais aux produits éclaircissants.

A l’âge de 13 ans, ma mère avait défrisé mes cheveux.  Ce geste avait été perçu comme une consécration me permettant de me rapprocher des femmes fatales, et pour ma mère, c’était seulement une délivrance. Je détenais un grain de cheveux qui demandait des heures et des heures d’entretien. J’ai défrisé mes cheveux jusqu’à l’âge de 19 ans. Aujourd’hui, je n’utilise plus de défrisage, au contraire, je consomme des produits qui activent les boucles, quel paradoxe. En Guadeloupe, des actions sont réalisées pour promouvoir les cheveux crépus, des articles, des ouvrages, des tutoriels et des reportages évoquent cela. Malheureusement, je trouve que la situation évolue lentement. Cette situation est peut-être liée au nombre de temps qu’il faut consacrer à nos cheveux. Je consacre trois heures pour l’avant shampoing, deux heures pour le shampoing, 30 minutes pour l’après shampoing,  et trois heures pour le démêlage. Ah oui, trois heures pour le démêlage puisqu’il faut utiliser des huiles, une brosse spécifique et un sèche cheveux.

Que ne ferions-nous pas pour nos cheveux ?

 

Penses-tu que les campagnes publicitaires et les films français reflètent le melting-pot de la société française ?

En toute franchise, non.

 

Tes gestes de beauté ? 🙂

Consommer des fruits, des légumes et du thé. Eviter la cigarette et l’alcool. Toujours utiliser des glaçons au réveil pour camoufler mes cernes. Enfin, toujours demander des conseils pour obtenir des produits qui ravivent ma peau foncée !

 

Propos recueillis par Latifa El Houari. 


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